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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Des migrants africains vivent depuis des mois dans la forêt à Mayotte. mai 2025. (photo LD)

Des migrants africains vivent depuis des mois dans la forêt à Mayotte. mai 2025. (photo LD)

Faute d’hébergements, les autorités laissent des immigrés survivre dans des conditions scandaleuses dans une forêt près de Mamoudzou. Et ce alors que l’accès à la préfecture a été bloqué par des Mahorais pendant plusieurs mois et qu’ils pourraient peut-être bénéficier du statut de réfugié.

Libération du 2 juin 2025
De notre envoyé spécial
, Laurent DECLOITRE

Sous des tentes fournies par l’association Acted ou des bâches plastique, plus de trois cents migrants africains vivent depuis mi-février dans une forêt de Mayotte, à l’ombre de grands arbres qui ont survécu au cyclone Chido de décembre. Lorsqu’il pleut, la terre de latérite rouge se transforme en boue qui pénètre dans les abris. Les occupants ont obtenu l’eau courante il y a trois semaines, cinq robinets près d’un champ de manioc, grâce à l’intervention d’une ONG. Mais ils ne disposent toujours pas de latrines, ni de douches.

«Je suis obligée de faire caca au bord de la route devant mon garçon», s’indigne Aïcha Mirindi, la trentaine, arrivée clandestinement en mars de république démocratique du Congo, comme la plupart des occupants. La jeune femme raconte avoir été violée à son domicile de Goma, une ville frontalière du Rwanda, par «des hommes armés». Cette zone est en guerre : le mouvement rebelle M23, soutenu par le Rwanda, s’oppose au gouvernement de Kinshasa et nombreuses sont les victimes civiles.

Aïcha Mirindi, comme la majorité de ses compatriotes, reste floue sur le paiement exigé par les passeurs et assure ne pas savoir où elle se rendait : «Je suis arrivée à Mayotte au bout de cinq jours de navigation, couverte de boutons et sale comme un démon !» Bienvenue au camp de la «Guinguette», à Tsoundzou II, à 5 kilomètres au sud de Mamoudzou, le chef-lieu du département français. Selon leurs témoignages, les occupants ont été conduits ici en bus par les services de la préfecture, qui ne savait plus quoi en faire. D’après la presse locale, le terrain aurait été loué à des particuliers par les services de l’Etat, qui ne souhaitent pas commenter. Retour sur une situation aussi scandaleuse qu’inextricable.

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Le camp de Tsondzou, en mai 2025, à Mayotte. (David Lemor)

Des places d’hébergement insuffisantes

Cela fait des dizaines d’années que Mayotte est confrontée à une immigration d’ampleur en provenance des Comores, voisines de 70 km. Mais depuis 2018 environ, des migrants venus du Congo, du Rwanda, du Burundi ou de Somalie, traversent 1 000 km de mer pour fuir leur pays en guerre. Si la quasi-totalité des Comoriens clandestins sont expulsés de Mayotte, puisque leur venue est essentiellement motivée par des raisons économiques, les Africains du continent, qui risquent la mort chez eux, ont plus de chance d’obtenir le statut de réfugié. Aussi font-ils des demandes d’asile, ce qui les place, de droit, en situation régulière. Le temps que l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) instruise leur dossier, ils ne peuvent être expulsés et doivent même être logés par l’Etat français.

La préfecture de Mayotte confie ce rôle à quatre associations qu’elle rémunère pour louer 600 places d’hébergement, «destinées aux demandeurs d’asile et réfugiés», plus une centaine d’hébergements prévus normalement pour les primo-arrivants, qui n’ont encore effectué aucune démarche administrative. Mais c’est largement insuffisant, il en faudrait cinq fois plus. «Nous recevons environ 3 600 demandes d’asile par an», confirme Sébastien Denjean, directeur de l’association Solidarité Mayotte, conventionnée par l’Etat pour assurer la mission de Spada, structure de premier accueil des demandeurs d’asile. En conséquence, les associations logent ces exilés dans des hébergements normalement destinés à d’autres publics vulnérables. Sur les 800 personnes recueillies par l’association Mlézi Maoré, «60 % sont des migrants, qui n’étaient pas à l’origine notre public cible», constate le directeur Hugues Makengo.

Expulsés d’un lieu à l’autre

Débordée par le flux d’arrivées, la préfecture vient de lancer un appel à manifestation d’intérêt pour financer 500 nouveaux hébergements d’urgence pour demandeurs d’asile . Mais rares sont les propriétaires disposés à louer pour des migrants… En attendant, la préfecture met la pression sur les associations pour «vider» le camp de la Guinguette. Mais comme le plaide un responsable, «on ne saurait pas où mettre les gens, on est à près de 130 % de taux d’occupation dans nos hébergements». C’est pour cette raison que les premiers migrants africains, faute de solutions de logements, ont squatté le stade de Cavani en mars 2024, avant d’en être chassés par les riverains ou envoyés en métropole par les services de l’Etat. Après le cyclone Chido, en décembre, ils se sont réfugiés dans un lycée de Mamoudzou, dont ils ont été également délogés un mois plus tard par un collectif de citoyens et les forces de l’ordre.

Même mésaventure, le 4 février, au collège de Kwalé, toujours à Mamoudzou. Un bus affrété par la préfecture les a alors déposés à Passamainty, au sud du chef-lieu. Une partie a été recueillie par l’association Coallia, les autres ont à nouveau dressé un campement de fortune au bord de la route… avant d’en être expulsés à la mi-février, la préfecture invoquant «des risques très importants d’accidents». Où les déplacer ? Dans la forêt de Tsoundzou II, loin du regard des riverains et de la vindicte des collectifs de citoyens…

Coups de machette

Dans le camp, survivent des migrants qui n’ont encore fait aucune démarche et qui sont donc expulsables, tout comme ceux qui ont été déboutés par l’Ofpra, des demandeurs d’asile qui devraient donc être logés et des bénéficiaires de la protection internationale, qui ont le droit de rester sur le territoire français mais n’ont aucun moyen de subsistance. C’est le cas de Lydia Ariane Kitumaini, 20 ans, visage amaigri et exténué, qui nous montre son attestation de protection subsidiaire accordée par l’Ofpra. L’Office lui a refusé le statut plus stable de réfugié, émettant des doutes sur le fait qu’un chef «wazalendo» (groupe armé soutenant le gouvernement congolais) l’ait violée dans l’épicerie où elle travaillait.

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Un migrant blessé à coups de machette par des jeunes de Mayotte. (LD)

Ces violences, les migrants africains les ont fuies pour les retrouver à Mayotte. Une plainte pour viol a été déposée récemment auprès du procureur par une femme. Un jeune et grand Somalien, aux cheveux hirsutes, ouvre sa chemise pour montrer sa blessure à l’épaule. «J’ai reçu un coup de machette lors d’une bataille avec des gars qui nous jetaient des pierres.» Kadafi Attoumani, directeur territorial de la Croix-Rouge française, complète : «Certains traînent des blessures depuis longtemps, or ils ne sont pas au bout de leur route migratoire.» La plupart rêvent en effet de partir en métropole. Mais pour cela, ils doivent finaliser leurs démarches administratives, ce qui était rendu impossible : jusqu’au 19 mai, des Mahoraises, membres du Collectif des citoyens de Mayotte 2018, empêchaient l’accès au «bureau des étrangers» de la préfecture. «Depuis octobre 2024, regrette le directeur d’une association, 2 000 personnes, potentiellement bénéficiaires du statut de réfugié, sont bloquées !»

Asifiwe, 22 ans, qui raconte avoir fui le Congo après le massacre de sa famille et la menace d’être enrôlé par le M23, va peut-être enfin pouvoir déposer son dossier. «Je suis arrivé le 10 janvier à Mayotte et depuis, j’attends. Je ne pouvais rien faire tant que la préfecture restait fermée», se désole l’ancien vendeur de crédits de téléphonie. Certains en viennent à regretter leur séjour au centre de rétention administrative (CRA), passage obligé après avoir été arrêtés lors de leur arrivée clandestine en kwassa, ces barques motorisées pilotées par des passeurs. «Au moins, là-bas, il y avait des toilettes, du courant, de l’eau et on était nourri», soupire ainsi Fabien Habimana, qui avait pu déposer, dans l’enceinte même du CRA, une demande d’asile. Las, selon l’ancien cuisinier congolais, son dossier a été mal rédigé. Il aurait bien été convoqué pour l’entretien à l’Ofpra… mais à Paris.

 

La latérite rouge se transforme en boue lors des pluies. (LD)

La latérite rouge se transforme en boue lors des pluies. (LD)

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