Des réfugiés climatiques installés dans le lycée Bamana à Mamoudzou, à Mayotte, le 16 janvier 2025. (David Lemor/Libération)
Un rapport de la chambre régionale des comptes étrille les communes du département d’outre-mer, en charge de la construction des écoles. Les élèves du premier degré sont scolarisés dans des conditions indignes… lorsque les communes acceptent de les inscrire.
Libération du 11 juin 2025
De notre correspondant à La Réunion, Laurent DECLOITRE
Les six enfants d’Alima Thior sont passés par l’école de la Poste, à Kawéni, dans la zone industrielle de Mamoudzou. Tous ont subi le système des rotations, incroyable bidouillage qui prévaut depuis le début des années 2000 à Mayotte : faute de salles en nombre suffisant sur l’île, plus de la moitié des écoles (57 %) accueillent une classe le matin, une autre l’après-midi. C’est ce que confirme un rapport des chambres régionales des comptes (CRC) de la Réunion et Mayotte, commandité par son président, Nicolas Péhau, et intitulé «L’école primaire : d’immenses défis pour les communes de Mayotte», présenté ce mercredi à Saint-Denis de la Réunion. L’étude a porté sur 13 des 17 communes de Mayotte, qui accueillent 85 % des élèves du 101e département français.
«Ce n’est vraiment pas terrible comme situation», commente Alima, qui habite à une centaine de mètres du gigantesque bidonville Manga Télé. Les élèves, contraints à de longues et fatigantes demi-journées, ont cependant leur nombre d’heures réglementaires. Enfin, la plupart… «Aujourd’hui, on est à plus de 85 % des élèves qui sont à vingt-quatre heures de cours par semaine», a reconnu sur Mayotte 1ère le recteur, Jacques Mikulovic, sur le départ. Soit tout de même près de 10 000 écoliers sur les 65 000 de l’académie qui ne bénéficient pas du nombre d’heures de cours obligatoires.
Pire, depuis le cyclone Chido, qui a ravagé bon nombre d’établissements en décembre, l’académie est passée dans certains quartiers au système des «triples rotations». «Maintenant, mon fils Kylian a cours de 7 heures à 10h30 ou de 13 heures à 16h30, en alternance toutes les deux semaines, s’indigne la mère de famille. Comment on peut apprendre dans ces conditions ?!» De même, soulignent les CRC, «plus de 300 classes de maternelle ne sont pas dédoublées», alors qu’elles sont situées en zone prioritaire. Et dans de nombreux CP et CE1, deux enseignants partagent une unique salle de classe et font cours en même temps à chacun de leur groupe. Des conditions de travail dégradées, dans des locaux vétustes et souvent dépourvus de ventilateurs, malgré la chaleur tropicale.
«Vous voulez qu’on construise des écoles flottantes ?»
Avant le cyclone, le rectorat indiquait que l’académie accusait déjà un déficit de 1 200 classes. «Vu le nombre de naissances annuelles, environ 10 000, il faudrait construire une classe par jour à Mayotte», a même admis l’ancienne ministre de l’Education Anne Genetet. Impossible, rétorque Ambdilwahédou Soumaila, maire (LR) de Mamoudzou, en raison d’un manque de foncier disponible. Comme en convient la chambre des comptes, «96 % des écoles de l’île sont situées sur une parcelle exposée à au moins un risque naturel en plus du risque sismique», ce qui empêche le lancement de nouveaux projets. «Vous voulez qu’on construise des écoles flottantes sur le lagon ?» lâche le maire.
S’ajouterait la charge financière à supporter par des communes qui assurent ne pas pouvoir assumer le coût de fonctionnement des écoles. D’où des manquements supplémentaires : seulement 8 % des enfants scolarisés bénéficient d’un repas chaud le midi, les autres enfants se voyant servir une collation dont «les qualités nutritionnelles ne sont pas satisfaisantes». Quant aux activités périscolaires, elles sont «quasi-inexistantes» et consistent principalement en une garderie le temps de la pause méridienne, sans «aucune activité d’éveil ou de renforcement scolaire».
Pourtant, «à Mayotte, l’Etat ouvre des crédits importants pour financer presque intégralement les constructions scolaires du premier degré», rappellent les CRC. Las : entre 2016 et 2022, seule la moitié des fonds consentis par l’Etat a été consommée par les communes. Selon de nombreux observateurs, c’est donc la volonté politique qui ferait défaut.
Discrimination à l’inscription
A Mayotte, près de la moitié de la population est composée d’étrangers, pour la plupart en situation irrégulière et d’origine comorienne. «Le système des rotations est dû à l’arrivée massive des enfants des pays voisins», estime de ce fait Ahamada Ousseni Soilihi, ancien président local de la fédération de parents d’élèves FCPE. Ambdilwahédou Soumaila ne dit pas autre chose, lorsqu’il évoque les «kwassa kwassa scolaires», du nom de ces barques motorisées pilotées par des passeurs depuis les Comores, situées à 70 km de Mayotte. «Depuis quatre, cinq ans, elles sont remplies d’enfants, sans leurs parents, qui arrivent en juin pour s’inscrire chez nous à la rentrée de septembre», affirme le maire du chef-lieu.
Face à l’afflux de ces élèves, de nombreuses communes leur compliquent la tâche en exigeant des pièces administratives non obligatoires, comme un acte de naissance étranger de moins de trois mois, des justificatifs de Sécurité sociale, la présence physique de l’hébergeur à la mairie… «Ces communes restreignent les inscriptions de manière très discriminatoire», dénonce le rapport. Entre 3 000 et 5 000 enfants du primaire seraient ainsi privés de l’obligation de scolarisation. C’est ce qui est apparemment arrivé à Osemine Anjara, une mère malgache dont le titre de séjour vient d’expirer : «J’ai voulu inscrire mon garçon de 3 ans à la maternelle, mais on m’a dit que c’était trop tard. Or en France, un enfant doit être scolarisé, c’est la loi !»
Pour remédier à cette situation de non-droit, l’Etat a voulu prendre les choses en main. La loi d’urgence pour Mayotte, promulguée en février, dispose : «Jusque fin 2027, l’Etat peut construire, reconstruire ou rénover les écoles publiques à la place des communes.» Les maires ont tenté de s’y opposer et obtenu l’ajout de la mention «à leur demande». Sans surprise, Ambdilwahédou Soumaila, le maire de Mamoudzou, est contre la proposition gouvernementale. «Je l’ai dit à la ministre Elisabeth Borne : “Quatre murs et un tableau ? Si c’est ça, je n’en veux pas !” Je veux une école républicaine de qualité. Si on ne réduit pas les flux de l’immigration, on n’arrêtera jamais de construire, ce sera une fuite en avant sans fin.»
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