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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Le stade de Cavani, le 8 mars 2024 à Mayotte. (LD)

Le stade de Cavani, le 8 mars 2024 à Mayotte. (LD)

Le stade d’un quartier populaire de Mamoudzou, où se sont installés des réfugiés, cristallise la colère des Mahorais. La plupart des demandeurs d’asile, au parcours tragique, doivent être envoyés en métropole.

Libération du 16 mars 2024
De notre envoyé spécial,
Laurent DECLOITRE

Les riverains du stade de Cavani, un quartier populaire de Mamoudzou, avaient donné jusqu’au 10 mars au préfet de Mayotte pour démanteler le camp des migrants africains qui occupent l’enceinte sportive depuis des mois. Pour maintenir la pression, les habitants ont monté un stand de fortune, avec matelas et bâche, juste devant le stade, où ils restent 24h/24. Toana Abdallah, professeur des écoles, est l’une des irréductibles : « Peu importe où, on veut qu’ils partent ! On n’a pas assez de structures pour nous, on ne peut pas les accueillir dignement. »
Tout juste nommé, le représentant de l’État François-Xavier Bieuville s’emploie donc à venir à bout de ce « totem », son expression pour évoquer ce qui est devenu aujourd’hui le symbole d’une immigration incontrôlée en provenance d’Afrique. Jeudi 14 mars, les pouvoirs publics ont « détruit une dizaine de tentes et évacué une cinquantaine de migrants », comptabilise Frédéric Sautron, sous-préfet en charge de la lutte contre l’immigration clandestine. La semaine précédente, une centaine de personnes avaient déjà été pris en charge, après l’envoi en métropole, fin février, de plus de 300 migrants. Mais à ce jour, il reste encore près de 200 immigrés, à dormir sur des matelas à même le sol, souvent sans bâche de protection, assaillis de moustiques, trempés par les pluies tropicales, enfumés par les feux d’ordures.

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Ces familles rêvent de quitter l’enfer mahorais, après avoir fui les persécutions dans leur pays d’origine : République Démocratique du Congo (RDC), Rwanda, Burundi, Somalie... Mamans avec bébé dans les bras, hommes fluets au regard inquiet, tous se pressent dans la nuit pour nous donner leur numéro de téléphone portable ; ils pensent que nous allons les inscrire sur « la liste », le sésame établi par l’État pour déterminer qui va être envoyé en métropole. Antoinette, 32 ans, tient à raconter, sans émotion apparente, sa terrible histoire : « Mes deux frères ont été égorgés dans un champ, car ils devaient hériter du trône de mon père », un chef coutumier d’une minorité ethnique de RDC. La Congolaise s’enfuit alors en Ouganda avec sa mère, où elle rencontre Jacques, lui-même réfugié. Puis le couple s’installe en Tanzanie, où Antoinette devient coiffeuse. « Mais lors des élections, nous avons été chassés et ma mère empoisonnée », poursuit Antoinette, éclairée par la lampe de son téléphone. Ils entendent parler de Mayotte, où ils pourraient demander l’asile. Un homme leur propose la traversée, entre Dar-El-Salam et l’île française, à bord d’un kwassa-kwassa, une barque motorisée, pour la somme de 1800€. Durant quatre jours de mer, le couple et ses deux jeunes enfants se nourrissent de « corn-flakes, de sucre et de mangues ».
Dans le stade de Cavani, les récits des familles se ressemblent. Alphonsine, blessée à la tête « par les milices » congolaises, dont le père a été tué « par des rebelles », a elle-aussi pris le risque d’embarquer pour Mayotte. Le département est depuis des dizaines d’années confronté à l’arrivée de migrants clandestins comoriens, qui franchissent le bras de mer de 70 km séparant leur pays de l’eldorado français. Mais depuis 2018 environ, les passeurs ont trouvé un nouveau filon, avec les migrants africains, qui doivent, eux, effectuer une traversée de près de 1000 km. Les kwassas font parfois escale à Anjouan, la plus proche des îles comoriennes, mais les migrants sont plus souvent transbordés d’une barque à l’autre en pleine mer, selon les témoignages que nous avons recueillis.
L’arrivée des migrants africains, et leur concentration sur le stade de Cavani, ont provoqué l’exaspération des Mahorais en fin d’année dernière. En janvier et février, le collectif de citoyens « Les forces vives » a dressé des barrages, paralysant le département. Les habitants comme les élus en veulent notamment aux associations qui accompagnent les Africains. C’est le cas du député LR Mansour Kamardine, fort de ces certitudes. « En Afrique, tout le monde connaît le numéro de téléphone de Solidarité Mayotte ! Une fois chez nous, les migrants n’ont qu’un mot à dire : “asile“. Alors les forces de l’ordre qui les ont interceptés en mer ou interpelés sur terre sont tétanisées, comme si elles avaient reçu un coup de Taser, et les renvoient à Solidarité Mayotte ! »
Ce qui choque le parlementaire n’est pourtant que la stricte application de la loi… « Au regard du droit français, les demandeurs d’asile sont des personnes en situation régulière », rappelle le directeur adjoint de Solidarité Mayotte, Gilles Foucaud. Et d’asséner cette évidence : « Notre association n’a aucun lien avec des réseaux de passeurs ou avec des communautés dans les pays d’émigration. » Solidarité Mayotte, délégataire de service public,  a en fait répondu à un appel à projets de l’État, qui doit « apporter assistance aux demandeurs d’asile ». Le processus est le suivant : lorsqu’ils accostent à Mayotte, les migrants africains, après un passage, ou non, par  le centre de rétention administrative, sont orientés vers Solidarité Mayotte, au regard de leur nationalité. C’est que les services de l’État font la différence entre les immigrés comoriens et africains. Les premiers ont très peu de chance d’obtenir le droit d’asile, à l’exception, parfois, d’homosexuels, et sont rapidement expulsés, puisque leur pays n’est pas en guerre. Les seconds répondent au contraire, pour la plupart, aux critères de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra).
Solidarité Mayotte aide alors les migrants  africains à constituer leur dossier, via la plateforme Guda (guichet unique pour demandeurs d’asile) : récit de vie, photos d’identité, domiciliation… La préfecture leur délivre ensuite une attestation et l’Ofpra  les convoque, dans un délai d’environ deux ou trois mois, pour un entretien. Le temps qu’ils obtiennent le statut de bénéficiaire de la protection internationale, les réfugiés sont hébergés. Solidarité Mayotte met à leur disposition 450 places en Huda (hébergement d’urgence pour demandeurs d’asile) et quelques dizaines d’autres solutions de relogement. Les migrants perçoivent en outre une somme de 30 euros par mois. 

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Mais face à l’afflux des arrivées, -plus de 2 000 en 2023-, l’État s’est retrouvé dépassé et a manqué de places d’hébergement. Il a dû faire appel à une autre association, Mlézi Maoré, qui a alors essuyé les menaces de la population. « Nos locaux ont été cadenassés à deux reprises et notre personnel insulté, regrette le directeur, Hugues Makengo. Nous avons enregistré 20 démissions sur 700 employés. Hier, une psychomotricienne, lynchée verbalement, a elle-aussi décidé de quitter son poste ». Tant et si bien que « dans ce contexte », Mlézi « hésite » à répondre à un nouvel appel à projet de l’État qui prévoit la création de 80 places supplémentaires destinées aux bénéficiaires de la protection internationale, pour la somme de 800 000 euros par an.
Une fois que les migrants ont obtenu leur statut de réfugié, leur accompagnement se tarit au bout de six mois. « Ils devraient avoir accès, comme tout citoyen, à l’aide sociale, souligne Gilles Foucaud. Mais à Mayotte, ce n’est pas le cas. » Pour s’envoler vers la métropole, les migrants doivent en outre obtenir un titre de séjour, et fournir à cet effet un certificat de naissance. « Cela fait un an et quatre mois qu’on l’attend », soupire dans la pénombre Jacques, qui travaille comme moto-taxi, devant reverser 20€ par jour au propriétaire mahorais de l’engin. « Il ne nous reste pas grand-chose… »  Lydia, arrivée en août 2022 à Mayotte, installée depuis des mois au stade de Cavani, subsiste aussi grâce aux petits boulots de son mari, qui ramène « 5 à 10 euros par jour ». « Mes enfants ont faim », se désole la mère de famille. Assise sur le même matelas, Rehema hoche la tête : ses très jeunes enfants n’ont pas mangé ce soir. Ashoula, elle, raconte, comment le collectif des forces vives a contraint la Mahoraise qui l’hébergeait et l’employait depuis deux ans comme femme de ménage à la chasser.
C’est pour ces raisons que les migrants, pour leur grande majorité en situation régulière, se retrouvent sur le stade de Cavani, suscitant l’ire d’Ambdilwahédou Soumaïla, le maire de Mamoudzou. « Je reçois les plaintes des riverains, qui se font voler de la nourriture et des vêtements », assure l’élu. L’élu LR s’en prend lui-aussi aux associations. « Solidarité Mayotte touche des millions pour accompagner les migrants. On peut se demander où va cet argent quand on voit comment elle s’en occupe ! » Réponse, en toute transparence, des intéressés : le budget de Solidarité Mayotte était de 5,6 millions d’euros en 2023, dont environ 4,4 millions spécifiquement destinés au migrants africains. Au titre de structure de premier accueil des demandeurs d’asile (Spada), l’association a été sollicitée par 3600 migrants l’an dernier. Le démantèlement du stade de Cavani ne signifiera donc pas la fin de la crise ; il en cachera simplement la plus visible de ses manifestations.

(version longue)
 

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