Le premier Conseil consultatif citoyen régional de France n’est pas reconduit par Huguette Bello, la nouvelle présidente insoumise de la collectivité. En cause, «l’instrumentalisation politicienne» dont se serait rendue coupable l’ancienne majorité LR.
De notre correspondant Laurent DECLOITRE
Libération du 28 octobre 2021
Un mail pour réclamer les tablettes numériques qui avaient été prêtées, et, en pièce jointe, un courrier lapidaire de la nouvelle présidente du conseil régional de La Réunion. Voilà comment les 96 membres du premier Conseil consultatif citoyen (CCC) régional de France, arrivés en fin de «volontariat», ont appris, le 11 octobre, qu’ils étaient remerciés. Huguette Bello, soutien de Jean-Luc Mélenchon, estime sans détour que «cette première expérience nous invite à réfléchir comment faire mieux vivre la démocratie participative».
Est-ce parce que l’instance était une initiative de Didier Robert (LR), le président sortant ? Ce dernier avait créé le CCC le 18 juin 2019, au lendemain des manifestations des gilets jaunes, particulièrement virulentes à La Réunion. A l’époque, l’ambition était forte : promis, les membres, tirés au sort, quatre par commune, seraient associés «à la construction des projets de la collectivité régionale» ; juré, ils pourraient même «demander un référendum», sous condition de réunir 50 000 pétitionnaires.
«On a eu l’impression d’être là pour la dorure»
Las… «On nous a roulés dans la farine, tempête Tony Brennus, conseiller territorial et membre actif. A chaque projet, on nous a renvoyé à des questions de budget ou de compétence.» «Il n’y a pas eu de dialogue loyal, on a eu l’impression d’être là pour la dorure», renchérit un autre citoyen, Raphaël Morino-Ros, en recherche d’emploi. De fait, «la majorité des membres a eu l’impression d’être instrumentalisés», confirme Grégoire Molinatti, maître de conférences en sciences de l’information et de communication, et co-organisateur d’un récent colloque sur «les stratégies de représentation des mouvements sociaux». Le chercheur estime qu’il «s’agissait moins, pour Didier Robert, d’entendre la parole des habitants que de gérer la fin du conflit des gilets jaunes».
L’absence de bilan en est l’illustration. Le conseil a donné son avis sur les orientations budgétaires de la région, proposé, sans être suivi, la création d’un guichet unique pour les différentes aides aux habitants, rencontré Emmanuel Macron, lors de la visite du président à La Réunion en octobre 2019… et c’est tout. Si, tout de même, les citoyens ont été menés en bateau, au sens propre du terme, pour voir, depuis le large, le chantier de construction d’une route au pied d’une falaise…
Future restructuration
Tant et si bien qu’au fil des mois, ils ont peu à peu déserté les réunions mensuelles. «On n’était plus que 25 participants actifs sur les 96 du départ», se désole Raphaël Morino-Ros. L’ancien DRH avance une autre raison : «Parmi les membres du conseil, des gilets jaunes au discours radical voulaient renverser la table. Mais ce n’était pas notre rôle, la démocratie participative ne s’oppose pas à la démocratie représentative.»
Pour Grégoire Molinatti, «tout se joue au moment de l’installation des citoyens». Selon l’universitaire, «il faut un agenda politique clairement établi, comme l’a fait Emmanuel Macron avec la conférence citoyenne sur le climat. Il a assuré que les propositions auraient une valeur contributive très forte». Bref, les citoyens doivent avoir le sentiment que leurs travaux serviront à quelque chose, même si Emmanuel Macron est loin d’avoir repris toutes les idées émises.
Aujourd’hui, Raphaël Morino-Ros espère que la nouvelle majorité de la région Réunion reprendra le «dialogue, indispensable, avec la population». Idriss Omarjee, directeur de cabinet d’Huguette Bello, la présidente de la collectivité, se veut rassurant. «La démocratie participative est un axe de la mandature. Mais on ne veut pas la dévoyer en utilisant les citoyens à des fins politiciennes comme l’a fait l’ancienne majorité.» Le conseil consultatif sera donc restructuré, «de façon sectorielle et territoriale», toujours avec des membres tirés au sort, mais auxquels seront adjointes des «personnes qualifiées issues de la société civile». Tony Brennus hésite à y croire, lui qui a été également tiré au sort pour participer à l’Observatoire des prix, des marges et des revenus. Cette autre instance consultative, chapeautée, elle, par la préfecture, donne des résultats concrets, comme l’élargissement d’une liste de produits de première nécessité vendus à bas prix par les enseignes locales de distribution.
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