La saison cyclonique arrivant à grands pas sur l’île, les autorités ont réalisé un exercice de simulation et éprouvé leur système d’alerte au centre opérationnel de la préfecture de Saint-Denis afin d’être prêts au moment venu.
par Laurent Decloitre, correspondant à la Réunion
Libération du 9 novembre 2021
Vingt ans sans cyclone dévastateur. Dina, en janvier 2002, était passé à 30 kilomètres des côtes de la Réunion, avec des rafales atteignant les 280 km/h ; le système dépressionnaire avait causé des dégâts de plusieurs dizaines de millions d’euros. Depuis, le département d’outre-mer, exposé en raison de sa situation géographique dans l’océan Indien et de son relief montagneux, «passe entre les gouttes», estime le directeur régional de Météo France, Emmanuel Cloppet. Effectivement, jamais l’alerte violette, qui indique un «danger exceptionnel» et interdit même aux services de secours de sortir, n’a été enclenchée. Relégués dans les oubliettes de l’Histoire, le «cyclone du siècle» (165 morts en 1948) ou Jenny (36 morts en 1962). Pourtant, les tempêtes et cyclones tropicaux des dernières années, même s’ils étaient d’une intensité moindre, ont fait des victimes, tel Fakir en 2018 (deux morts).
Ce répit, relatif donc, inquiète paradoxalement les autorités. «Les jeunes Réunionnais n’ont pas connu de gros cyclone, analyse le préfet Jacques Billant. Le risque est d’oublier les réflexes.» Or avec l’été austral débute la semaine prochaine la saison cyclonique, qui s’arrêtera en mars. Pour que «la mémoire collective continue à se transmettre», les pouvoirs publics lancent une campagne de prévention, en créole : Paré ? (Etes-vous prêts ?) ; Kosa nou fé ? (Quelles sont les précautions à prendre ?) ; Rod pa maler ! (Restez prudents !) Des témoignages de «gramouns», personnes âgées ayant subi ces phénomènes climatiques impressionnants, sont diffusés sur les réseaux sociaux. Et ce mardi matin, dans la salle en pierre de taille du centre opérationnel de la préfecture, à Saint-Denis, l’ensemble des acteurs a planché sur un «cyclonex».
Exercice de simulation
Ils sont une trentaine à défier Ana, le premier système de la saison. Lors de cet exercice de simulation, le système n’est qu’au stade de tempête tropicale. La (fausse) pré-alerte jaune est enclenchée depuis dimanche, signalant aux Réunionnais «une menace potentielle dans les jours à venir». A ce stade, il convient de se tenir informé, de se rapprocher des services de soins en cas d’insuffisance rénale ou respiratoire, de noter les numéros d’urgence. Mais Ana se rapproche ! L’impact sur la Réunion est prévu demain mercredi dans l’après-midi. Emmanuel Cloppet, de Météo France, jouant le jeu, préconise un passage en alerte orange dans la journée, puisqu’il s’agit d’un «danger dans les vingt-quatre heures».
Ottman Zaïr, nouveau directeur de cabinet du préfet, hésite. Cette mesure est lourde de conséquences : tous les établissements scolaires devront fermer. Il interroge les autres services. La route du littoral, en pied de falaise, reliant l’ouest au nord de l’île, est déjà «basculée» sur une seule voie, en raison des risques de chutes de pierre, aggravés par le début des fortes pluies. Et la nationale devra sans doute fermer totalement, simule la direction des routes, puisque la houle cyclonique va submerger la chaussée. Les gendarmes et la police, tout comme les pompiers, ont déjà rappelé leurs effectifs en repos. L’armée a activé ses PC de crise à la base aérienne et à la base navale et évacué ses avions de transport sur Mayotte, épargnée. L’aéroport Roland-Garros, en revanche, se veut rassurant : même en alerte orange, les avions des compagnies aériennes peuvent décoller ou atterrir.
«Clarifier le rôle de chacun»
Mais si jamais l’île passait en alerte rouge, soit un «danger imminent», il ne devrait plus rester un seul avion sur le tarmac. «Même lesté, un long courrier peut être soulevé par un cyclone !» En rouge, toute la population irait se calfeutrer chez elle, avec la stricte interdiction de circuler. Cette mesure de confinement, sanctionné en cas de manquement par des amendes, n’existe pas en métropole, remarque le préfet de la Réunion. «Or les tempêtes sont de plus en plus fréquentes en Europe. Notre plan Orsec pourrait être une source d’inspiration», suggère le haut fonctionnaire. La tempête Alex a fait 20 morts l’an dernier en métropole…
Nous n’en sommes pas là ce mardi matin et le temps presse. Le rectorat souligne qu’il faut prévenir très tôt les sociétés de transport scolaire, si la Réunion passe à l’orange, pour que les élèves puissent être ramenés chez eux à la mi-journée. «Très clair, bien pris», note le dir-cab du préfet, qui suit finalement la majorité : l’alerte est enclenchée à partir de midi. Fin de l’exercice. Eric Faure, le chef d’état-major de zone et de protection civile, est satisfait : «Ces simulations sont essentielles pour mieux se connaître et clarifier le rôle de chacun.»
Reste maintenant à scruter les cieux. Météo France prévoit une saison «proche de la normale», avec une dizaine de tempêtes et de cyclones à l’échelle du bassin india-océanique. Il faut donc «se tenir prêt à toute éventualité».
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