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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Huguette Bello, trois jours après sa victoire aux régionales de La Réunion.

Huguette Bello, trois jours après sa victoire aux régionales de La Réunion.

La nouvelle présidente de la région d’outre-mer est une communiste historique, féministe et pasionaria de la lutte contre les inégalités.

Libération du 1er juillet 2021, de notre correspondant Laurent DECLOITRE
Photo Romain PHILIPPON

Ni préliminaires, ni chichis d’introduction. A peine assise dans son bureau de maire de Saint-Paul, où elle nous reçoit, Huguette Bello attaque. Véhémente, comme l’est depuis toujours cette Réunionnaise de 71 ans, qui a pris la Région à la droite le 27 juin. Objet de l’ire de cette « perpétuelle indignée » : « On me traite de dinosaure : quelle injure aux aînés ! Les jeunes devraient être habités par nos luttes qui ont fait l’histoire de La Réunion. » La mère de deux enfants, mariée à un ancien journaliste, évoque l’esclavage, mais aussi les allocations familiales, le Smic, le RMI… Autant de de transferts publics qui n’étaient pas versés à La Réunion et pour lesquels « il a fallu se battre ». « Marmite de lait » menaçant de déborder dès l’école primaire, Huguette Bello, proche de Jean-Luc Mélenchon, s’en prend encore à « la domination des puissants sur les plus petits », et, dans la foulée, à Emmanuel Macron, « le président des riches et des capitaines d’industrie ». Celle qui se définit comme communiste ne cherche pas à plaire et a le sourire rare – elle a dû s’entraîner pour ses affiches électorales. « Devant les médias, je n’ai pas envie, les sujets auxquels je suis confrontée dans ma vie d’élue sont trop graves ». Le soir du second tour, à l’annonce des résultats, un proche raconte qu’à la question de savoir si elle était « contente », Huguette Bello a répondu, sans explosion de joie : « Ce n’est pas le terme »… 
La catholique, qui va à la messe tous les samedis, a dû s’émanciper de son milieu familial conservateur, elle qui écoutait le prêtre « prier pour la conversion des adventistes et des communistes »… Son grand-père, planteur de canne à sucre, était membre de la Fédécanne, « un syndicat de droite », et terrifiait la petite fille à cause de « sa jambe raide », suite d’une poliomyélite ; son père, agriculteur sans grand sou, était conseiller municipal de Ti’Fred Isautier, héritier d’une droite dynastique et sénateur-maire de Saint-Pierre, sa commune natale. Sa mère ? « Elle a beaucoup souffert de la dépendance envers son mari ».
C’est d’ailleurs la cause féministe qui fait vibrer la jeune institutrice de 18 ans, qui doit demander son émancipation pour exercer son métier. Elle adhère à l’Union des femmes réunionnaises, s’emporte contre des affiches sur la contraception montrant « une cafrine [femme noire] avec une capeline et un gros ventre ». Membre du Front de la jeunesse autonomiste de La Réunion, puis du Parti communiste réunionnais (PCR), l’insoumise s’envole pour la Tchécoslovaquie, pour participer au congrès de la Fédération démocratique internationale des femmes. « J’y croise l’épouse du président chilien Salvador Allende, la première femme cosmonaute soviétique, la Sud-Africaine Dulcie September, assassinée plus tard à Paris pour avoir dénoncé la vente d’armes par la France au régime de l’apartheid », énumère-t-elle, les yeux brillant à ces souvenirs.
En 1983, la militante est élue conseillère régionale auprès de Paul Vergès, le leader historique du PCR, son mentor d’alors. S’enchaînent les mandats de conseillère municipale et générale, dans le sud et l’ouest de l’île ; en 1997, elle devient la première femme réunionnaise députée, dans la circonscription de Saint-Paul, qu’elle arrache à la droite aux municipales de 2008. Deux ans plus tard, comme elle le dit en créole : « Mi gingn lo kou » (« Je prends un coup ») : Paul Vergès lui préfère à la seconde place sur sa liste aux régionales une immunologue métropolitaine. Un affront pour la « fanm batay » (combattante). Aux législatives de 2012, le PCR exige même qu’elle laisse sa place dans la deuxième circonscription. Elle refuse et l’emporte contre un de ses anciens camarades. « Ils pensaient que j’avais du sang de tortue ?, s’exclame-t-elle. C’est par la résistance qu’on possède nos vies ! » L’ancienne protégée tue alors le père, en créant son propre parti, le PLR, accusant Paul Vergès de défendre « un clan, une famille ». Aujourd’hui, toutefois, la nouvelle présidente du conseil régional reconnaît que ce fut « un grand homme politique, qui a marqué l’histoire de La Réunion ».
Huguette Bello a même intégré d’anciens camarades communistes sur sa liste, tout comme des socialistes, Ericka Bareigts, ancienne ministre de François Hollande et maire de Saint-Denis, l’ayant rejointe au second tour. Ses priorités : « la probité et l’éthique », une référence à son adversaire, Didier Robert (div.droite), qui concourait malgré une condamnation en première instance à quinze mois de prison avec sursis et trois ans d’inéligibilité pour prise illégale d’intérêts et abus de bien social. Désormais, assure Huguette Bello, les conseillers appelés à présider les différentes sociétés publiques locales de la collectivité le feront bénévolement. Rappelant que La Réunion est la deuxième région de France la « plus inégalitaire », elle compte rendre gratuit les « cars jaunes », un réseau de transport en commun. Favorable à la préférence régionale, la septuagénaire promet en outre d’œuvrer « pour que les gens ordinaires retrouvent du travail et de la dignité. » « Il est insupportable, estime-t-elle, que 39% des Réunionnais vivent en-dessous du seuil de pauvreté. »
Les traits à peine tirés après des mois de campagne, Huguette Bello, qui se réveille tous les jours à 5h, se dit « en forme » pour mener cette politique de « rupture ». Elle compte s’appuyer sur deux compagnons de lutte : Graziella Leveneur, ancienne secrétaire générale de l’Union des femmes réunionnaises, et Idriss Omarjee, ancien directeur de cabinet de… Paul Vergès. Pour la rupture, il faut plutôt regarder à la deuxième place de sa liste, occupée par Frédéric Maillot. Le trentenaire est cofondateur du mouvement Union de la jeunesse résistante réunionnaise et donne raison à Marx, selon qui « la violence est accoucheuse de l’histoire ». L’habitant du Chaudron, un quartier populaire marqué par plusieurs émeutes urbaines, se dit persuadé que « la bonne révolution viendra du cœur et de la tête d’une femme ».
Huguette Bello, lectrice assidue, doit illustrer cette ambition en vers, vendredi lors de son investiture. Des artistes vont interpréter « Le chœur des esclaves » de Verdi, « Invictus », le poème préféré de Nelson Mandela et « Mon pays », une chanson du Réunionnais Davy Sicard. Des choix lourds de sens. Mon pays, c’est l’expression qu’Huguette Bello a employée en 2011 face à un surfeur métropolitain, dont un ami vient d’être happé par un requin. Les détracteurs de la militante y ont vu la preuve qu’elle considérait l’homme comme un étranger et était « anti-zorey » (contre les métros). « Mon parcours me dispense de prouver que je ne suis pas raciste », rétorque sereine l’intéressée, soudain plus légère au moment du shooting photos. Et de déclamer Apollinaire, et de chanter Léo Ferré et Aragon, devant les yeux surpris des membres de son cabinet…

24 août 1950 : naissance à Saint-Pierre
1974 : adhère au Parti communiste réunionnais
1997 : devient la première députée femme de La Réunion
2008 : est élue maire de Saint-Paul
2012 : est exclue du PCR
2021 : remporte les régionales, avec 51,85% des voix contre 48,15% pour Didier Robert

 

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