"Ce ne sont pas des bisounours"
La Réunion déplore quatre attaques de requins cette année et redoute la fuite des touristes.
Libération du 22 septembre 2011
Les surfeurs et pêcheurs s’indignent, les pouvoirs publics pataugent : lundi, un Réunionnais a succombé aux morsures d’un requin, alors qu’il « prenait la vague » à vingt mètres au large de la plage touristique de Boucan-Canot. Un drame qui a déclenché une déferlante d’émotion sur l’île. Mathieu Schiller, 31 ans, ancien champion de France de bodyboard, a eu les jambes arrachées par un squale. « J’ai vu une grande mare de sang », témoigne, sous le choc, un ami. Hier, le corps de la victime n’avait toujours pas été retrouvé, les secouristes étant eux-mêmes « chargés » par un requin bouledogue !
En huit mois, La Réunion a dénombré quatre attaques de squales, dont deux fatales, toutes sur la commune balnéaire de Saint-Paul, à l’ouest de l’île. Une série noire qui s’ajoute aux quelque 40 accidents, dont près d’une vingtaine mortels, recensés depuis 1980.
Or jusqu’à ce jour, les pouvoirs publics n’ont pris aucune mesure, sinon la tenue d’ateliers, en juillet dernier. D’où les cris de colère qui ont fusé lorsque Huguette Bello, la député-maire de Saint-Paul, s’est rendue lundi après-midi sur les lieux du drame. "Combien en faut-il ?!",« Assassin », ont hurlé des surfeurs déemparés. Contrairement à l’Afrique du Sud ou à l’Australie, La Réunion n’est équipée d’aucun système de protection. Pourtant, il en existe, même si leur efficacité est contestée.
Les filets tendus au large ? Ils résisteraient difficilement aux houles cycloniques… et aux arguments des écologistes, en raison de leur impact sur la faune : dauphins, tortues, poissons sont également pris dans les mailles.
Les drum-lines, ces bouées équipées de lignes de pêche et de gros hameçons ? Une solution que l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer préconisait en baie de Saint-Paul…dès 1997. Pour les scientifiques de l’Ifremer, cette solution « simple et peu onéreuse » permet de « rassurer le public et de réduire significativement le risque requin ». L’étude a plongé dans les abysses… Il y a deux ans, la commune de Saint-Pierre, au sud de l’île, également meurtrie par plusieurs attaques, a élaboré un « plan de gestion du risque requin ». Qui stagne…
Quant aux sharks-shields, ces petits boitiers qui émettent des ondes électriques et repoussent les requins, seuls quelques sapeurs-pompiers en sont équipés à La Réunion. Face à la pression des surfeurs, les collectivités ont toutefois refait surface : Saint-Leu, commune balnéaire de l’ouest, vient d’accorder une subvention d’équipement à son club de surf, tout comme la Région, en faveur de la Ligue régionale, afin d’installer des bouées équipées de sharks-shields sur des « sites pilotes ».
C’est dans ce contexte tendu que le préfet de La Réunion pense organiser un « prélèvement » dans les tout prochains jours. Comprendre une pêche au requin. « Ce ne sera pas une chasse sauvage comme on l’a vue dans certaines parties de l’océan Indien, où l’on a éventré des dizaines de requins, dont plusieurs sans danger », prévient Michel Lalande. Les voisins seychellois, traumatisés par deux attaques mortelles de touristes en août, ont installé dans l’urgence des filets et encouragé la chasse aux requins…
A La Réunion, sont visés les requins bouledogue, tigre et mako, des espèces dangereuses et non protégées. Pourtant, il y a dix jours, un pêcheur a été verbalisé pour défaut de licence, après avoir lancé une expédition punitive et capturé un squale… Jean-François Nativel, membre de l’association Océan prévention Réunion, avait participé à cette partie de chasse. « On a été lynchés, mais aujourd’hui, le préfet se rend compte que les requins ne sont pas des bisounours, comme le font croire les pseudo-scientifiques », s’emporte-t-il. Jean-René Enilorac, président du comité régional de la pêche, est lui aussi prêt à s’embarquer dans cette chasse inédite : « Depuis quelques années, les requins se rapprochent de la côte et bouffent les poissons. Quand on ramène nos lignes, les vivaneaux, les rouges, les thons sont mangés à 80% ! »
Difficile aujourd’hui de prendre la défense des ailerons… Gery Van Grevelynghe, médecin, auteur d’une thèse sur les attaques de requins et cofondateur de l’association Squal’idées, prône malgré tout « le temps de la réflexion ». « Oui à une pêche scientifique, admet-il, s’il y a surpopulation ou sédentarisation de requins. Mais comment le savoir sans étude préalable ? Là, on est dans l’émotionnel ».
Sur sa lancée, le préfet a interdit provisoirement toute activité de pleine eau (surf, kite, plongée) dès que le drapeau rouge sera hissé sur les plages ; jusqu’à présent, seuls les baigneurs étaient concernés. Enfin, des panneaux d’information devraient être installés…. mais « sans tomber dans le catastrophisme », La Réunion surfant entre le risque requin et celui de voir fuir ses touristes.
REPERES
Les dernières attaques à La Réunion
En février, un touriste marseillais a eu la jambe arrachée sur le spot de Trois-Roches ; il a survécu. En juin, un jeune bodyboarder réunionnais a succombé à de multiples morsures, sous les vagues de Ti-Boucan. Un mois plus tard, un surfeur s’en est sorti par miracle, un requin ayant avalé la moitié de sa planche !
Pourquoi tant de requins ?
Les pêcheurs accusent la réserve naturelle marine de La Réunion, créée en 2007. Les activités de pêche étant interdites sur près de 40km de côte, les requins ne seraient plus effrayés par la présence des plongeurs et trouveraient davantage de poissons à manger. Une ferme aquacole, où sont élevées depuis 2003 des « ombrines » en baie de Saint-Paul, est également pointée du doigt. Il est reconnu que des requins rôdent autour des cages immergées.
Le lagon, en toute sécurité
Les attaques surviennent au large des plages non protégées par la barrière de corail. Elles n’ont concerné depuis l’an 2000 que des surfeurs et non les plongeurs, baigneurs et pêcheurs. Dans le lagon réunionnais, à l’ouest et au sud de l’île, il n’y a aucun danger à se baigner.
Le requin blanc le plus dangereux
Selon le tableau de bord international des attaques de requins, établis par le Museum d’histoire naturelle de Floride, 10% des attaques de requins sont mortelles. A La Réunion, on approche les 50% ! En moyenne, 57 attaques surviennent chaque année à travers le monde, l’année dernière étant particulièrement meurtrière avec 79 attaques. Alors que les requins bouledogue et tigre sont les plus dangereux à La Réunion, c’est le requin blanc qui cause le plus de morts dans l’ensemble des océans.
Impact touristique
Alors que le salon international du tourisme vient de s’ouvrir Porte de Versailles, le stand de La Réunion a bien du mal à corriger l’image désastreuse causée par les dernières attaques. Le directeur de l’Ile de La Réunion Tourisme assure pourtant que les tours opérateurs n’ont pas noté de baisse des ventes.
Ecoutez la revue de presse de la Tête au carré (France Inter) consacrée à l'anthropologie de la voix (de 2'30 à 4'30).
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