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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération

Le feu et la polémique se propagent à grande vitesse

Il a fallu attendre une semaine pour que le gouvernement envoie des renforts aériens sur l'île de La Réunion, en proie à un immense incendie au coeur du Parc national.

 

Libération du 1er novembre 2011
De notre correspondant, Laurent DECLOITRE

 

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Les gardes du Parc national de La Réunion, aidés de chiens, les gendarmes, les agents de l’Office national des forêts… Tous se sont lancés hier matin à la poursuite d’un pyromane, zigzaguant entre les fougères en cendre et les tamarins calcinés, ces acacias endémiques uniques au monde. Le conducteur d’un bulldozer, en train de tracer une piste pour les secours, à plus de 2000m d’altitude, a aperçu l’individu près d’un foyer. Entre brouillard et fumée, le suspect a réussi à prendre la fuite dans la forêt du Maïdo, alors que la zone était sillonnée par près de 800 combattants du feu.

Nul ne sait si cet homme est l’auteur de l’immense incendie qui ravage depuis mardi la montagne à l’ouest de La Réunion, sur les communes de Saint-Paul, Saint-Leu et Trois-Bassins. Hier, 2700 hectares du Parc national de l’île avaient été parcourus par les flammes ! Mais pour le colonel Vandebeulque, directeur du service départemental d’incendie et de secours (Sdis), l’origine criminelle ne fait « aucun doute ». L’an dernier, la même zone a été ravagée par ce qui est alors le pire incendie jamais survenu : 800 hectares « seulement » avaient brûlé, rappelle, les traits tirés, le patron des pompiers, depuis le poste de commandement au village de Petite-France.

Le PC était auparavant installé sur une route forestière, à la lisière de l’incendie qui s’étend sur une ligne de 18 km parallèle à l’océan. Mais dans la nuit de samedi à dimanche, le feu a sauté la piste cimentée ; des fermiers ont dû être évacués, après avoir lâché dans la nature les vaches pour éviter qu’elles ne périssent brûlées dans leur enclos. Les pompiers aussi ont reculé, constamment débordés depuis une semaine, malgré les 240 hommes arrivés en renfort de métropole, plus 171 attendus ce matin.

Hier, c’est à grand peine qu’ils ont empêché les flammes de « tomber » dans le cirque de Mafate. Environ 700 personnes habitent, au pied d’une falaise verticale de mille mètres, le « cœur » emblématique du Parc national, une cuvette géologique impressionnante et grandiose. « En métropole, on n’intervient jamais sur des remparts d’une telle longueur et profondeur. C’est très dangereux, ça provoque un effet cheminée », souffle Ludovic Julia, chef de section de l’unité d’intervention de la sécurité civile de Brignoles (Var). Son visage est noirci par le charbon de bois, ses sourcils recouverts d’une fine couche blanchâtre. Le feu a détruit les lacets vertigineux d’un sentier descendant aux Orangers, un des îlets (villages) de Mafate. En raison des risques d’éboulement,  des habitants ont été évacués, tout comme à l’îlet voisin de Roche-Plate, où l’école a été fermée.

« Sans les hélicoptères bombardier d’eau, le cirque n’aurait pas été épargné », conclut le pompier, alors que des fumerolles transforment le point de vue d’habitude fréquenté par des milliers de touristes en champ de bataille. Or les moyens aériens manquent à La Réunion, qui ne dispose d’aucun avion capable de submerger les foyers, comme les Canadair ou les Dash 8. L’an dernier, un Dash affrété en urgence avait prêté main forte, la presse locale évoquant « le salut venu du ciel ».

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Jusqu'à hier, les pouvoirs publics jugeaient inutiles ces renforts aériens. Le refus suscitait des brûlots sur les réseaux sociaux et la colère des parlementaires, de gauche, de l’île. Ils ont écrit une lettre au président de la République et réclamé une enquête parlementaire sur le manque de moyens. « On se sent méprisé », attise Huguette Bello, député-maire de Saint-Paul. Dans la soirée, le ministère de l'Intérieur Claude Guéant a enfin annoncé l'envoie de deux Dash 8, dans les prochains jours. Florent Hivert, de la direction générale de la sécurité civile et gestion des crises, tente d’éteindre la polémique : « Ce n’est pas une question de coûts mais d’efficacité, jure-t-il. La bataille se gagnera surtout au sol ».

Dans le tapis moussu ou entre les dalles de basalte, les personnels communaux et les agents de l’ONF creusent des tranchées afin d’éviter que l’incendie se propage à travers la couche épaisse d’humus. Des spécialistes de métropole allument des contre-feu, une technique encore jamais employée à La Réunion : brûler des bandes de terrain pour que les flammes n’aient plus rien à se mettre sous la dent ! Un travail d’autant plus ingrat que le plan de massif de défense des forêts contre les incendies, initié l’an dernier, n’a pas encore été suivi des faits. « On n’a pas eu le temps de creuser de nouvelles retenues collinaires, où les hélicoptères et les camions peuvent s’alimenter en eau », plaide Isabeau Jurquet, du Parc national, de permanence au PC malgré un congé…

Malgré tout, hier soir, l’incendie semblait enfin « stabilisé ». Mais « pas circonscrit »,  tempère Benoît Huber, directeur de cabinet du préfet. « Si le vent reprend, on sera de nouveau débordé », ajoute Jacques Vandebeulque. Hier, deux sapeurs ont d’ailleurs été légèrement blessés. Un brin amer, le directeur du Sdis rappelle qu’en Méditerranée, « 160 camions citernes interviendraient sur un incendie comme celui de La Réunion ». Or on ne comptait qu’une quarantaine de véhicules rouge dans la forêt réunionnaise, inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco…

Les images du combat contre le feu (Crédit : DGSCGC / Laurent ROCH)

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