Société 20/07/2010 à 00h00
Réunion : l’enjeu du cirque
Reportage
En proie à la précarité, des habitants du cirque de Mafate, dans les hauteurs de l’île, ont demandé l’aide d’une association, et rejettent le parc national.
La Réunion, son volcan, son lagon… Et Mafate. Le cirque, une cuvette de 103 km2 cernée de remparts verticaux, est sillonné chaque année par plus de 80 000 trekkeurs. Alors qu’aucune route n’y accède, plus de 750 personnes, dispersées dans huit hameaux appelés îlets, vivent à Mafate. Le «cœur habité» du parc national de la Réunion. Eclairés à l’énergie solaire, se déplaçant à pied, les Mafatais vivent du tourisme et d’agriculture, au rythme de la «vie lontan». Voilà pour la carte postale.
Mythe. Une centaine de bénévoles, aux sacs à dos surchargés de pâtes, d’huile, de riz et de couches, ont balayé d’une semelle boueuse le mythe. Les marcheurs de l’association Momon papa lé la ont acheminé le mois dernier des vivres aux 200 habitants d’Aurère, Ilet-à-Bourse et Ilet-à-Malheur. Marie-Nadine Bègue, 39 ans, mère divorcée de cinq enfants, les avait appelés à l’aide. Dans la cour de récréation de la minuscule école d’Ilet-à-Malheur, les vivres sont distribués. Les habitants, munis de sacs-poubelle, brouettes ou encore de la grande écumoire de la cantine, font la queue. Laurent, un permanent de l’association, apprécie. «Dans les bas [le littoral, ndlr], quand on arrive avec le camion, les gens s’empilent les uns sur les autres, et tout part en dix minutes.»
A Mafate, 43% des plus de 25 ans touchent le RMI. Les autres sont au chômage ou subsistent grâce à des contrats précaires à l’Office national des forêts ou dans les écoles locales. Seuls les «gîteurs», qui profitent de la manne touristique, et les «boutiqueurs», qui possèdent une épicerie, s’en sortent. Au prix fort. Les gîteurs affrètent régulièrement un hélicoptère, qui achemine dans un filet 800 kilos de marchandises, pour 160 à 275 euros. Les autres Mafatais économisent souvent plusieurs mois d’affilée avant d’avoir recours à cette solution.
La famille Maillot n’y arrive pas. Les 815 euros du contrat d’Angelo, les allocations familiales et le RMI d’un des six enfants suffisent tout juste. Anne-Marie se plaint du «riz pour les cochons» dont elle se sert pour tous ses repas, de «l’eau la boue» qui coule du robinet par mauvais temps. Les Maillot vivent dans une maison en tôle, comme la plupart des Mafatais. D’une manière générale, 52% de la population de la Réunion vit en dessous du seuil national de pauvreté. L’an dernier, l’association Momon papa lé la a distribué 79 000 colis alimentaires.
«Aumône». A Ilet-à-Bourse, un des habitants ne veut pas recevoir «l’aumône». Eric Grondin, rasta au chômage, estime n’être «pas spécialement dans le besoin», cultivant haricots et petits pois, élevant canards et poulets. Une animatrice du parc national rappelle que «les Mafatais ne paient ni le loyer, ni l’eau, ni l’enlèvement des ordures». Tant et si bien qu’une enseignante du cirque, qui a souhaité rester anonyme, dénonce «l’assistanat» de Momon papa lé la. «Les Mafatais nous appellent pour manger, on ne va pas vérifier et les humilier», rétorque Patrick Savatier, le président de l’association, les traits marqués par la marche. Il prévoit de remettre le couvert dans d’autres îlets du cirque. En solo. «La Croix-Rouge reste dans le consensus mou, et les curés dans leur église, regrette-t-il. Nous, on interpelle les collectivités, qui n’assurent pas la continuité territoriale des Mafatais.»
Une pétition circule dans les îlets pour sortir du parc national dont fait partie Mafate. Il sert à préserver la cohérence environnementale du site, et certains habitants pensent que ces exigences comptent davantage que leurs besoins. «La loi du parc, c’est bon pour les oiseaux, pas pour nous, dénonce Manrique César, président de l’association Allon March ansamb Mafate. On vit avec le minimum, et on nous dit que c’est encore trop !» Les habitations ne peuvent dépasser 81 m2, les toitures en tôle doivent être colorées, les menuiseries en bois…«On ne peut laisser tout faire au prétexte que les habitants ont droit au développement», se défend Olivier Robinet, le directeur du parc. Gilette, employée à l’école d’Ilet-à-Malheur, et Martinien, au chômage, comptent parmi les rares à soutenir l’action du parc. «Sans ça, les Mafatais feraient n’importe quoi. Le cirque se moderniserait, on perdrait nos traditions.» Gilette lave son linge à la main, concocte sa confiture de patate douce au feu de bois, laisse ses enfants gambader pieds nus. Pas simple : lors de la distribution des colis, elle n’a pas reçu de couette. La nuit, durant l’hiver austral, la température tombe à moins de 10 degrés sur Mafate.
Photo Edgar Marsy
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