«Ils veulent qu’on ne mange que du riz pour cochon ?»
La Réunion . Vendredi, les troubles persistaient, malgré l’annonce d’une baisse du prix de l’essence et de produits de première nécessité.
«Préfet, démission !» A l’annonce des mesures destinées à lutter contre la vie chère à La Réunion, la foule ne semblait pas vraiment convaincue, hier soir, à Saint-Denis, devant la préfecture. Après trois nuits d’émeutes, le préfet, Michel Lalande, avait convoqué en urgence les associations de consommateurs, les transporteurs routiers, les collectivités locales et les importateurs de carburant. Au terme d’une table ronde de plus de cinq heures, le représentant de l’Etat s’est félicité d’«avancées extrêmement significatives» à compter du 1er mars : baisse de six euros sur le prix de la bouteille de gaz, gel ou diminution du prix de quarante produits de première nécessité, mise à l’étude de la création d’un site de stockage de carburants visant à «renforcer la concurrence», baisse de huit centimes par litre de diesel et de super.
Octroi de mer. Les pétroliers, accusés par des élus d’ententes illicites, ne rogneront cependant leurs marges que sur le diesel, dans une proportion non précisée. L’essentiel de l’effort est assuré par le conseil régional et les communes, qui verseront au pot commun une partie de l’octroi de mer (une taxe douanière qu’ils perçoivent). Pour obtenir une baisse des prix des denrées alimentaires, le préfet en appelle à la grande distribution, absente lors des négociations…
Nassimah Dindar, présidente (Modem) du conseil général, a pour sa part demandé que le tarif social de l’électricité soit étendu aux foyers qui perçoivent jusqu’à 1,4 fois le smic. «On compensera auprès d’EDF le manque à gagner», a-t-elle promis.
«C’est suffisant pour l’instant», a réagi Jean-Bernard Caroupaye, président de la Fédération nationale des transporteurs routiers, qui avait appelé «à l’aide» la population en début de semaine. «Mais le combat continue, je compte lever le voile sur les malversations et l’opacité qui caractérisent le prix des carburants.»
Jean-Hugues Ratenon, président de l’Alliance des Réunionnais contre la pauvreté (proche du PCR, le Parti communiste réunionnais), a reconnu «des petites avancées» : «Nous aurons le carburant et le gaz les moins chers de France.» Face à la foule, le leader s’est montré plus vindicatif, pointant les fonctionnaires, et leur surrémunération de 53% : «On n’est pas des enfants bâtards, pourquoi l’État ne donne pas de prime à tous les salariés ?» Fat, 45 ans, qui vit avec 407 euros de RSA, approuve : «Pourquoi seulement les produits de première nécessité ? Ils veulent qu’on ne mange que du riz pour cochon ?»
«Couillons». Sans grande surprise, les troubles ont immédiatement recommencé dans plusieurs communes. Hier à 22 heures, les pompiers tentaient d’éteindre, sous protection policière, d’innombrables feux de poubelles. A Saint-Pierre, le concessionnaire Dacia était en flammes, tout comme des commerces à Saint-Louis. A Saint-Denis, les jeunes s’attroupaient dans le quartier du Chaudron. Alex (1), un ado de 16 ans, dont les deux parents sont sans emploi, assurait qu’il allait «repartir en guerre», comme la nuit précédente : «Si on ne casse pas, on nous prend pour des couillons !» Avec son pote Mike, il fabrique des cocktails Molotov, «à base d’acide, de papier d’aluminium et de terre dans la bouteille, pour qu’elle parte plus loin». Vince, 17 ans, raconte comment il ramasse des galets sur le bord de mer, «pour ne pas manquer de munitions».
Les trois jeunes ne semblaient pas craindre la répression. Pourtant, après trois jours d’émeutes, police et gendarmes avaient interpellé, vendredi, un total de 141 personnes. Le tribunal correctionnel de Saint-Denis a déjà prononcé quatre peines de prison ferme. Et deux escadrons de gendarmerie mobiles ont été appelés à la rescousse de métropole.
(1) Les prénoms ont été changés.
Par ailleurs, François Hollande est attendu à La Réunion le 31 mars, et non pas fin février, comme nous l'avions mentionné par erreur dans notre édition précédente.
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