L'Express du 26 septembre 201
De notre correspondant Laurent DECLOITRE ; photos Pierre MARCHAL
Les entreprises réunionnaises se reconnaissent une responsabilité sociale, mais ne recrutent guère en temps de crise. Alors si le jeune est peu diplômé…
Les 55% de Réunionnais de moins de 25 ans au chômage ? « C’est parce qu’ils n’ont pas assez faim ! Entre le travail au noir et les aides de l’État, il faut être sacrément motivé pour bosser ! » On comprend pourquoi ce chef d’entreprise, qui emploie soixante salariés dans la vente de matériel d’équipement, a tenu à rester anonyme...
Le patron, qui possède plusieurs établissements dans le département, assure donner leur chance aux jeunes, en prenant une vingtaine de stagiaires par an, « même si ce n’est pas rentable ». Mais au moment de recruter... « Je préfère les gars passés par la métropole. Ceux qui ont refusé de bouger croient encore que l’axe de la Terre traverse notre île… » Est-ce leur faute s’ils n’ont pas saisi l’opportunité de la mobilité, onéreuse malgré les aides publiques ? « Quand on est paresseux, on trouve toutes sortes d’excuses, rétorque l’entrepreneur. Ils n’ont qu’à se priver du dernier I-Phone. »
Le pdg accuse encore l’Éducation nationale, coupable de « fabriquer de la fausse monnaie » : des jeunes ne maîtrisant pas le français et dont le diplôme ne vaudrait plus rien…
Sandrine Dunand-Roux, déléguée générale du Medef-Réunion, assure pourtant que « les entreprises prêtent attention à la situation sociale et s’efforcent d’aller vers les non qualifiés »… Une affirmation à prendre avec mesure, selon François Proust, qui dirige une boite d’intérim spécialisée dans le placement des jeunes en grande difficulté. « Les employeurs ne sont guère militants en la matière, ils veulent surtout des salariés qui répondent à leurs besoins »… Pour autant, ils ne se montreraient « pas récalcitrants à 100% », ne serait-ce qu’en raison des clauses d’insertion des marchés publics, « de plus en plus nombreuses dans le département » : pour obtenir le contrat, les entreprises doivent recruter un certain pourcentage de jeunes exclus du marché du travail.
Elles y auraient tout intérêt à en croire Bernard Fontaine, directeur de la Saphir, 95 salariés, qui exploite des captages d’eau : « Si on ne se décarcasse pas, l’île va vers le chaos ». Lors des dernières émeutes, des jeunes ont investi son entreprise. « On les a aidés à rédiger leur CV, à dresser un bilan de compétences, témoigne-t-il. Mais on n’a pas pu les embaucher ».
Car l’économie insulaire ne peut faire de miracle. Le nombre de Réunionnais en âge de travailler augmente de 7300 personnes par an, alors qu’en 2012, le tissu économique local n’a créé qu’un peu plus de 2000 emplois. Ce ratio terrible - 5000 jeunes restent sur le carreau chaque année-, c’est Kelly Moutoukichenin qui le rappelle. La jeune femme, chargée de mission Emploi-Insertion au Medef, a été embauchée après les émeutes de février 2012…
Laurent DECLOITRE
« Il faut se bouger »
Nicolas M. avait faim, lui… Diplômé d’un bac pro Comptabilité, le jeune Portois ne trouvait pas d’emploi, jusqu’à ce qu’il accepte de travailler dans l’intérim et dans un tout autre domaine : la manutention, parfois une heure par jour seulement… « Cela ne valait pas le coup, mais je montrais ma motivation », explique-t-il. Petit à petit, l’agence d’intérim lui confie des missions plus longues. Il quitte les chambres froides pour la poussière des entrepôts et décroche finalement un CDI, comme chef d’équipe dans une entreprise du Port. « Il faut se bouger pour s’en sortir », clame aujourd’hui ce père d’un garçon de trois mois. Avec sa compagne, bénéficiaire d’un contrat d’avenir, il a économisé pour acheter une voiture et construire, de ses propres mains, une maison sur le terrain familial.
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