L'Express du 26 septembre 2013
De notre correspondant Laurent DECLOITRE; photos Pierre MARCHAL
Les contrats de génération réunissent des jeunes et des salariés plus âgés au sein des entreprises. C’est le cas de la Saphir, qui exploite à Saint-Pierre des captages d’eau. Débat entre deux jeunes et leurs « seniors référents ».
L’une est titulaire d’un BEP et d’un bac pro secrétariat ; l’autre est diplômée de Sciences po Paris. La première n’aime pas la métropole, qu’elle a découverte le temps de vacances estivales : « Même si j’étais au chômage et qu’on me proposait un travail là-bas, je ne partirais pas ! » La seconde a effectué des stages et travaillé à Paris, en Allemagne, en Espagne, en Inde… Stéphanie Ferrère, 24 ans, est secrétaire d’accueil à la Saphir, Naïma Ramalingom, 25 ans, directrice administrative et financière déléguée de cette société de 95 employés. Leur point commun ? Les deux jeunes Réunionnaises bénéficient d’un CDI grâce au contrat de génération.
A ce titre, elles ont chacune un « senior référent » dans l’entreprise : un cadre chevronné qui leur sert de tuteur. Pour Stéphanie Ferrère, c’est Jean-Pierre Payet, 58 ans, responsable du branchement des compteurs d’eau. Il s’excuserait presque de la situation de l’emploi que trouvent les jeunes : « Notre génération leur a transmis la crise. Les entreprises refusent d’embaucher les jeunes faute d’expérience, c’est un cercle vicieux ! »
Naïma Ramalingom s’accorde à juger la situation « désespérante » mais pointe plutôt le système social français. Ce choix de société,« sans doute le bon », reconnaît la jeune juriste, « empêche le plein emploi. Il protège les salariés au détriment des outsiders, exclus du marché du travail. » La pianiste à ses heures ne prône pas pour autant une voie ultra-libérale. Son référent, Georges Gonvindassamy, le directeur général adjoint de la Saphir, ne cache pas son inquiétude : « Si l’on ne fait pas table rase du modèle actuel, l’île risque d’exploser une nouvelle fois. Et la confrontation pourrait être plus dévastatrice que les derniers soubresauts… »
Juniors comme « gramouns » se reconnaissent une « responsabilité collective » et cherchent des solutions. Les jeunes doivent-ils se résigner à aller chercher du travail en métropole ? « De notre temps, c’était un réel déchirement. Aujourd’hui, avec Skype et la webcam, même à 10 000 km de distance, on n’est pas perdu… », plaident les seniors.
Les politiques publiques ? Stéphanie Ferrère ne fait pas la fine bouche : « J’ai des amis, diplômés de BTS, au chômage. Ils accepteraient même un contrat aidé ! » « C’est un réflexe bien français de tout attendre de l’État », rétorque Naïma Ramalingom, pourtant « passionnée de politique ». Elle est bien la seule. Son directeur avoue « une certaine déception » vis-à-vis d’une classe politique plus occupée à se combattre « qu’à servir l’intérêt général ». Pour autant, Georges Gonvindassamy ne veut perdre espoir et conseille aux jeunes de « garder la niaque » au lieu de se complaire « dans le spleen et les discours défaitistes ».
Son quinquagénaire de collègue est plus amer. « Tous les partis sont pourris et barbotent, lâche Jean-Pierre Payet, qui préfère s’exalter pour les matchs de foot de son fils de 17 ans. Je ne vote plus, ça ne sert à rien. » Un discours repris par la jeune fille sous son aile. « La politique ne m’intéresse pas du tout, avoue, d’un rire gêné, Stéphanie Ferrère. Je vote sans savoir pourquoi »…
Laurent DECLOITRE
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