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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Le 10 avril 2007 à 7h07

Le cratère de la Fournaise englouti

Par DECLOITRE Laurent

La Réunion correspondance

«Une impression de cataclysme, de monstrueux chamboulement.» Jean Perrin est pourtant un habitué de la Fournaise, dont il suit les soubresauts depuis 1977. Le vice-président du Centre de documentation et de diffusion sur le volcanisme est le premier à avoir gravi le sommet du Piton, vendredi, pour observer l'effondrement du cratère sommital, le Dolomieu. «A la place de notre terrain de jeu, il y a un gouffre de 200 m de profondeur», regrette-t-il en remisant son masque à gaz, son casque et ses lunettes.

Nid infernal. Le cratère, un ovale de 1 000 m sur 700 m, était l'attraction majeure du massif volcanique, dans le sud de l'île. En août, cinq cônes éruptifs ont surgi en son sein, crachant pendant des mois une lave fluide qui remplit peu à peu le nid infernal. Le fond du cratère n'était plus qu'à quelques mètres de la plateforme érigée par l'Office national des forêts pour les 130 000 touristes qui viennent admirer chaque année le spectacle.

Ce paysage lunaire vient de s'écrouler sur lui-même, emportant dans ses entrailles les instruments de mesure de l'observatoire volcanologique. «On a perdu les prismes du télémètre laser et les trépieds des récepteurs GPS», constate, fataliste, Alexandre Nercessian, sismologue à l'Institut de physique du globe (Paris), venu en renfort au moment du déclenchement de l'éruption, le 2 avril.

«Depuis plusieurs mois, la Fournaise se gonflait et s'était soulevée de plusieurs centimètres, explique Thomas Staudacher, directeur de l'observatoire. La pression devenait de plus en plus forte dans la chambre magmatique.» L'éruption en cours, à 500 m d'altitude, si proche de la mer qu'il n'a fallu qu'une journée aux coulées pour atteindre l'océan, a servi de soupape de sécurité. Mais, en vidangeant l'énorme réservoir de magma, la fissure par laquelle progresse la lave a créé un vide sous le Dolomieu. Le fond du cratère n'était plus soutenu, et la masse énorme a disparu dans la bouche brûlante vendredi et samedi. Des pics sismiques de 3,9 de magnitude ont été enregistrés à cette occasion, «du jamais vu à la Réunion». Le site était interdit au public depuis plusieurs jours et le restera longtemps encore.

Lors de l'affaissement, roches et magma sont entrés en contact avec des poches d'eau, ce qui a provoqué une explosion phréatique. Des blocs de plusieurs kilos ont été projetés, et de la cendre recouvre désormais une partie du massif d'une couche collante de 3 cm. La gangue grisâtre a englué le balisage des nombreux sentiers de l'ONF, les rendant impraticables.

«Cheveux de Pelé». De la cendre, les habitants du «Sud sauvage», où se déroulent les rubans de lave, en balaient aussi. «J'ai voulu voir la coulée vendredi, mais il pleuvait tellement d'eau et de sable chaud que j'ai pris peur. Impossible de sortir de ma voiture», raconte Jacques Renault, employé communal à Saint-Philippe. La cendre ne provient pas du Dolomieu, mais... de l'océan. En se jetant dans les flots, le magma se fragmente en minuscules morceaux qui sont emportés dans le gigantesque champignon de vapeur avant de retomber sous forme de poussière dans les environs. Autres projectiles : les «cheveux de Pelé», des filaments de lave refroidie disséminés par le souffle à des kilomètres à la ronde. Cassants, coupants, ils peuvent perforer l'estomac des vaches qui les broutent par mégarde.

La rencontre du feu et de l'eau salée forme en outre du gaz chlorhydrique, qui entraîne depuis plusieurs jours des pluies acides. A tel point que le réseau d'eau potable de la commune a dû être vidangé.

Ces menus désagréments ne sont rien au regard de l'évacuation vendredi d'une centaine d'habitants du village du Tremblet, que la lave semblait menacer. «On nous a mis à la porte comme si on avait tué quelqu'un», témoigne Océane Lavernay, retraitée, dont la maison est située pile au milieu de deux anciennes coulées. Hier, tout le monde avait pu regagner son domicile, tandis que des fontaines de lave de plus de cent mètres de hauteur continuaient d'alimenter deux fleuves de magma liquide.

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