Reportage. Depuis trois jours, les manifestations dans l'île pour demander des contrats aidés dégénèrent, notamment dans la ville du Port.
Libération, 20 février 2013, de notre correspondant, Laurent DECLOITRE
Photo Richard Bouhet, AFP
«Je ne vois pas pourquoi ça se passerait bien ce soir…» Dans son bureau de la mairie du Port, mercredi en fin d’après-midi, le secrétaire général Alain Moreau ne se fait guère d’illusion. Depuis trois jours, la ville de l’ouest de La Réunion est la proie des émeutiers. Jeunes et moins jeunes, sans emploi, réclament un contrat aidé à la collectivité. Faute de l’obtenir, ils ont brûlé la nuit dernière la mairie annexe du quartier de la Rivière-des-Galets, vandalisé un PMU et volé une centaine de bouteilles de gaz dans une station-service. Les forces de police ont affronté durant des heures des bandes cagoulées, armées de cocktails Molotov et de cailloux, et interpellé quatorze individus (vingt-deux depuis lundi). Le préfet, guère optimiste sur la suite des événements, a demandé des renforts à Paris, alors qu’une quarantaine gendarmes mobiles sont arrivés dans la journée de Mayotte, l’île voisine.
«Si rien ne change, faut démolir !»
Jean-Bob, 16 ans, casquette rouge de travers, dit comprendre l’attitude de ses camarades. «Si rien ne change, faut démolir ! Sans violence, personne ne réagit !», lance l’adolescent juché sur son VTT, avenue Rico Carapaye, lieu des échauffourées de la veille. En stage dans une entreprise de construction métallique, il doute que son bac pro lui permette un jour de trouver du travail. Émergeant de la cité Émile Zola, un ensemble d’immeubles orange, Lionel ne peut, lui, se targuer d’un diplôme. Si le Portois de 27 ans avait un CV, il ne pourrait y inscrire qu’une formation en maintenance et hygiène des locaux, un CDD de trois mois…et quelques condamnations... Tongs bleues au pied, ce bénéficiaire du RSA (Revenu de solidarité active) n’est pas surpris par les actes de guérilla urbaine : «L’avenir n’avance pas, on s’ennuie à longueur de journée. Si on avait du travail, la guerre serait finie !» Jovial malgré sa situation, les yeux brillants, Lionel avoue avoir avalé un cachet d’Artane, un médicament prescrit contre la maladie de Parkinson, à l’effet euphorisant. «Ce soir, n’allez pas interroger les bougres, c’est sûr, ils seront dans la rue et vous courront après», prévient-il.
Si le Port bat des records en matière de chômage (plus de 40%), la situation est aussi tendue dans plusieurs autres communes. À Saint-Louis, dans le sud de l’île, des jeunes ont dressé des barrages cet après-midi, comme ils l’avaient fait mardi et la semaine précédente. Il y a dix jours, sur la côte Est, le pôle emploi de la commune de Saint-Benoît avait été occupé par des chômeurs mécontents, tandis que des associations manifestaient devant les grilles du conseil régional, à Saint-Denis, toujours pour réclamer des emplois aidés.
«Il faut que le gouvernement entende le cri de détresse»
C’est là la particularité de ce département d’outre-mer, marqué par un chômage endémique de plus de 30%, et de 60% chez les moins de vingt-cinq ans... Faute de véritable tissu industriel, les chômeurs se tournent vers les collectivités pour quémander un CAE (contrat d’accès à l’emploi) ou un CUI (contrat unique d’insertion). Or l’Etat, qui alloue ces contrats aidés, n’en a délivré que 9000 à La Réunion pour le premier semestre 2013, contre 12800 à la même période l’an dernier. Le Port, qui bénéficiait de 428 CAE-CUI, n’en a plus que de 165, dénonce Jean-Yves Langenier, le maire communiste. Certes, ces contrats aidés ont désormais une durée de dix à douze mois, contre six auparavant, il n’empêche : la marge de manœuvre des communes, de la région et du département a diminué. «Il faut que le gouvernement entende le cri de détresse de notre population, plaide Jean-Yves Langenier. Sinon, le volcan réunionnais risque de vraiment péter à tout moment.»
Victorin Lurel, ministre de l’Outre-Mer, rappelle que le gouvernement a aussi attribué 5000 emplois d’avenir à La Réunion pour l’année en cours, de quoi combler le déficit de contrats aidés. Mais ce nouveau dispositif n’est financé qu’à hauteur de 75% par l’etat. Le reliquat est jugé trop cher pour les communes… et le conseil régional, cible des élus de gauche, qui critiquent la collectivité pour sa non participation. «D’un côté, le gouvernement nous supprime des CAE-CUI, rétorque Didier Robert, le président UMP de la région. De l’autre, il nous propose les emplois d’avenir qui coûteront une fortune, 7500 euros par an et bénéficiaire !» L’élu promet d’adhérer au dispositif, à deux conditions : si le gouvernement lui rétrocède les CAE-CIU supprimés et si les emplois d’avenir sont destinés au secteur privé, et non au secteur para-public…
En attendant, un an jour pour jour après les dernières émeutes qui avaient secoué la Réunion, l’île retient son souffle. En fin d’après-midi, la pluie s’est jetée sur le Port, une des communes les plus sèches du département. Mais personne n'est certain qu’elle refroidira les ardeurs des manifestants : en cette saison cyclonique, les précipitations sont aussi lourdes et chaudes que la rancoeur des 132000 chômeurs réunionnais.
Laurent DECLOITRE
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