« J’y suis resté trente ans ! »
Henri Dijoux, 56 ans, a dû patienter trois décennies avant de rentrer sur son île natale. Le facteur évoque un « exil » mais ne regrette rien.
Lorsqu’il quitte en 1974 la ferme familiale du Tampon, Henri Dijoux, qui vient de réussir le concours de facteur, pense revoir bientôt ses parents, ses cinq frères et quatre sœurs. Il est affecté dans la région parisienne, à Drancy. « On m’avait dit que je rentrerai très vite, j’y suis resté trente ans ! » La moustache du postier frémit lorsqu’il raconte son parcours, entre les casiers du centre de tri de Saint-Denis : « Dès la première année, j’ai eu envie de revenir ; mais mon numéro a mis du temps à sortir… »
A 18 ans, le Réunionnais prend l’avion, puis le train. « Je ne connaissais personne, je me sentais très ému, confie-t-il. La Seine-Saint-Denis était un secteur très chaud, mais personne ne m’a jamais attaqué, car le facteur rendait beaucoup de services : je distribuais les allocations familiales, les retraites, les Assedic… »
Henri se marie avec une collègue originaire de Montauban, où le couple est affecté en 1990. Une bouffée d’oxygène pour le postier. « J’ai pu faire pousser des « chouchoux » (christophine) dans le jardin de la maison, malgré les gelées », se souvient cet amateur de « caris », le plat créole par excellence. Cuisinier à ses heures, il se rend dans l’Aveyron pour acheter des cabris, qu’il mijote avec du massalé, une épice d’origine indienne… La gastronomie lui permet de maintenir le lien affectif avec son île, même s’il faut parfois s’adapter et préparer un « rougail » avec les saucisses de Toulouse. L’œil amusé, le quinquagénaire lâche, sacrilège : « En fait, elles font moins d’eau que les saucisses de La Réunion ! »
En 2004, le couple obtient enfin sa mutation. Mais la perspective de revoir le Piton de la Fournaise ne provoque aucune éruption de joie. La famille s’est creusé un foyer au pays du cassoulet. « Nos deux filles voulaient continuer leurs études en métropole, raconte le facteur. On les a laissées, ainsi que nos proches, le poing sur le cœur ». Le retour à La Réunion laisse une impression mitigée à ce bon vivant : « J’ai été déçu par l’accueil d’une partie de la famille et de copains d’enfance ; ils nous ont mis de côté comme s’ils étaient jaloux de notre parcours. »
Pire, après trente ans loin de son île, Henri Dijoux se sent aujourd’hui un peu étranger chez lui ! « Je me sens différent ; les jeunes restent chez leurs parents, ils ne veulent ni bouger, ni évoluer ». A tel point que le Réunionnais « étouffe » parfois et a besoin de « prendre le large ». Lorsqu’ils vivaient en métropole, les Dijoux ne revenaient que tous les trois ans à La Réunion. Depuis que leur « rêve » s’est réalisé, ils partent chaque année en métropole rendre visite à leurs amis…
Laurent DECLOITRE
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