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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans l'Express

Revenir coûte que coûte

 

L'Express N°3189, semaine du 15 au 21 août 2012

 

Les fonctionnaires réunionnais nommés en métropole ont beau user de stratagèmes parfois douloureux, ils mettent des années avant de retrouver leur île.

 

creopolitains2.jpg« Ils sont en souffrance et craquent. » Christian Picard, secrétaire départemental de la FSU, rend régulièrement visite à ses collègues enseignants mutés dans la banlieue parisienne, pour leur « remonter le moral ». Comme la plupart des fonctionnaires réunionnais, ils éprouvent une nostalgie insondable du soleil, des plats créoles, de leur amis et famille.

Lorsque Katia Marty a été affectée l’an dernier à Versailles, après avoir obtenu le concours de prof de sciences physiques, elle n’a pas tenu plus d’une semaine ! « Mes deux filles, restées à La Réunion, me manquaient, je pleurais tous les soirs, témoigne-t-elle. Ce n’est pas une vie. » La mère de famille a pris un congé sans solde… qui se termine à la rentrée prochaine. « Je dois y retourner, sinon je perds le bénéfice du concours. Je ne sais pas si je vais tenir le coup. » L’enseignante de 39 ans, qui souffre d’une maladie auto-immune, a déposé un recours gracieux auprès de son ministère de tutelle pour rester sur l’île.

Une fois nommés dans l’Hexagone, les « exilés » doivent patienter, entre « deux et dix ans » avant de rentrer, déplore Christian Picard. Les moins biens lotis ? Les bibliothécaires, les profs de mécanique, de carrosserie… Pourtant, ces personnels de l’Education nationale bénéficient d’un énorme avantage sur leurs collègues : une bonification au titre des « intérêts matériels et moraux ». Naissance, propriétés, études, famille… Si l’enseignant prouve qu’il a laissé un pan de sa vie à La Réunion, il bénéficie de 1 000 points supplémentaires qui lui permettent, dans les faits, de passer avant ses « concurrents ».

« Je me sens prisonnier »

Tous les fonctionnaires n’ont pas cette chance. Encore émoustillé après une séance d’entrainement au tir, Christian Noël, secrétaire régional de FO pénitentiaire, retrouve la mine grave lorsqu’il évoque « les 400 originaires qui attendent actuellement en métropole ». Le solide gaillard a pu rentrer au pays, en 2004, après quatorze années passés à surveiller les détenus de Fleury-Mérogis, puis ceux de Corse. « Quand j’ai obtenu La Réunion, c’est comme si j’avais gagné au loto ! »

Xavier Bègue, lui, purge encore sa peine en banlieue parisienne. À 30 ans, le surveillant pénitentiaire est suivi par un psychiatre et enchaine les congés maladie. « C’est dur ici, je n’ai personne », confie-t-il. Le maton de la maison d’arrêt d’Osny (Val d’Oise) savait, au moment de passer le concours, qu’il serait affecté en métropole ; mais il n’imaginait pas souffrir à ce point de l’éloignement. Alors le fonctionnaire a tenté le tout pour le tout : « Ma femme et mon garçon de deux ans sont rentrés en 2010 ce qui m’autorise à demander un rapprochement de conjoint. » Malade, considéré comme un « cas social», l’exilé monte dans le classement qui gère les mutations. En attendant, le père de famille multiplie depuis 1992 les séjours sur son île natale, à force d’économies et d’heures sup.

Bruno Valéama parle lui aussi d’ « exil » et se considère comme un « prisonnier ». Depuis Viry-Chatillon (Essonne), le policier a créé l’association « Mobilité sans retour », pour crier son opposition à la durée d’exercice obligatoire en métropole. Il a reçu le soutien du conseil général de La Réunion, sans effet à ce jour. Affecté à la direction opérationnelle des services techniques et logistiques de la police, à Paris, le gardien de la paix affiche une ancienneté administrative de cinq ans, mais devra patienter encore… une décennie avant d’espérer rentrer au bercail ! Sauf si son épouse, réunionnaise et également fonctionnaire de police, est nommée avant lui. « Dans ce cas, on serait séparé un an puis je pourrai la rejoindre », espère-t-il.

Autre stratégie : refuser de passer les concours internes pour monter en grade. Un galon de plus signifie un séjour prolongé en métropole, si bien que de nombreux fonctionnaires réunionnais stagnent au plus bas de l’échelle.

Une fois sur l’île, Katia, Xavier, Bruno gagneront 53% de plus qu’en métropole. Ils jurent que cette sur-rémunération n’entre pas en compte dans leur volonté inaltérable de « rentrer à la case »…

Laurent DECLOITRE

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