La terre rouge sang de Madagascar
(24 février 2009, blog)
Le gouvernement malgache a loué la moitié de ses terres à Daewoo, pour que le groupe y produise du maïs et de l'huile...à destination des Sud-Coréens. De plus en plus de pays pauvres cèdent aux sirènes des investisseurs étrangers pour qui l'agrobusiness offshore fait figure de nouvel Eldorado. Un « avatar du néo-colonialisme » selon les ONG.
Le projet qui va lier Madagascar à Daewoo, via la filiale Daewoo Logistics, est colossal, sans doute le plus grand accord au monde de location de terres agricoles : 300 000 hectares seront consacrés à la production d'huile de palme, pour une production annuelle de 500 000 tonnes ; un million d'hectares se couvriront de champs de maïs, pour en extraire 4 millions de tonnes chaque année. L'investisseur promet des retombées économiques importantes pour la Grande Ile, à la hauteur des quelque 4,8 milliards d'euros que le géant consacrerait sur 25 ans à son projet. Selon Yong Nam-ahn, le président de Daewoo Logistics, venu annoncer la bonne nouvelle à Antananarivo en novembre dernier, « les ouvriers malgaches embauchés seront formés par des ingénieurs sud-coréens et sud-africains ».
De quoi réjouir Marc Ravalomanana. Le controversé business-président, qui a fait fortune à la tête de son groupe Tiko, a fondé le Map, plan d'action pour Madagascar, sur les investissements étrangers, qu'il aimerait voir quintupler d'ici 2012. L'accord avec Daewoo serait l'occasion de moderniser l'agriculture malgache, tout en fournissant des devises à un pays dont la monnaie nationale, l'ariary, ne vaut tripette.
La réputation de Monsanto
Pourtant, son annonce a immédiatement suscité des réactions violentes, tant chez la population malgache qu'auprès de nombreuses organisations internationales. Il faut dire qu'un dirigeant de Daewoo Logistics a eu l'imprudence d'indiquer que la terre malgache serait bradée pour peanuts, totalement « free » ! « Ce sont des terres en friche, qui ne rapportent rien. Nous allons créer de l'emploi pour les mettre en valeur, c'est bon pour Madagascar », justifiait Hong Jong-wan. Et de promettre en sus des investissements dans les routes, l'irrigation et les infrastructures de stockage agro-alimentaire.
Depuis, les émeutes ont fait une centaine de morts, contraignant le gouvernement malgache à revoir sa copie. « Aucun acte d'attribution n'a été signé jusqu'à maintenant avec l'Etat, assure le ministre de la Réforme Foncière, Marius Ratolojanahary. Les procédures sont encore en cours ». La presse malgache est dubitative et rapporte que Madagascar Future Entreprises, l'antenne locale du sud-coréen, a déjà formulé des demandes d'acquisition de centaines de milliers d'hectares de terres dans différentes régions du pays. De son côté, Daewoo Logistics indique que seule « la prospection technique » a débuté ; le projet serait « stoppé ». Quant à la gratuité, il n'en serait pas question. Pour le directeur financier du groupe, « les comptes-rendus des médias ont mis en colère les Malgaches car il les rend honteux de faire partie de ce qu'ils appellent un système néocolonial ».
Le Collectif pour la défense des terres malgaches a lancé une pétition pour dénoncer « l'octroi des terres aux étrangers et riches entrepreneurs ». L'Observatoire de la Vie Publique à Madagascar parle de « nouvel avatar colonial », et même « d'économie de traite », estimant que la Grande Ile se fait « dépouiller de l'une de ses principales richesses naturelles ». L'association dénonce le choix de l'agrobusiness par le gouvernement, « une agriculture avec des moyens que Madagascar n'a pas, en négligeant ceux qu'il a : sa population paysanne et son travail ». Le risque ? « Cela va marginaliser le paysannat malgache et provoquer un exode rural plus rapide et plus massif ». Avec les conséquences que l'on connaît à Tana, où des centaines d'enfants mendient, où des familles entières campent sur les trottoirs, à la maigre chaleur d'un brasero.
Olivier de Schutter, rapporteur spécial des Nations unies pour le droit à l'alimentation, s'alarme également. Dans un entretien accordé à Mediapart, il rappelle que dans beaucoup de pays africains, comme à Madagascar, ceux qui cultivent la terre n'ont pas toujours de titre de propriété. « Ils courent donc le risque de se faire évincer de leurs terres, qu'ils occupent parfois depuis des générations, par des investisseurs étrangers ». Par ailleurs, l'arrivée de ces capitaux fait monter le prix des terres et les rendrait inaccessibles aux petits paysans.
Daewoo va « hériter de la même réputation que Monsanto ou Cargill », prévient Han Young Me, de l'Association des paysannes de Corée, citée par l'association Grain (Genetic Ressources Action International), qui tente de sauvegarder les savoirs faire ruraux. Pourquoi dans ces conditions Daewoo investit-il dans des terres de faible valeur, dans un pays instable politiquement, tout en se collant aux yeux du monde entier une image pour le moins négative ? En sachant qui plus est qu'investir dans la terre est un engagement à long terme, sans rendement ni bénéfices immédiats. Pourquoi se coltiner « une patate chaude politique », pour reprendre l'expression de Jacques Diouf, le directeur sénégalais de la FAO, l'organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture ?
« Sécurité alimentaire »
La crise. Financière et alimentaire. Voilà ce qui conduit la Corée du Sud et bien d'autres gouvernements à conclure des accords avec les Etats parmi les plus pauvres du monde. La débâcle des marchés boursiers, l'implosion des fonds spéculatifs, la déroute des grandes institutions financières incitent les conglomérats à se tourner vers le foncier, valeur refuge, comme le sont parfois l'or ou la pierre. Dans un même temps, le prix des denrées alimentaires a connu une augmentation sans précédent ces dernières années. Cette flambée des cours a conduit à des émeutes de la faim dans de nombreuses parties du monde... et à un regain d'intérêt pour l'agro-business. Il est soudain devenu rentable d'acheter des terres et de les exploiter. Les grands groupes ont été soutenus, parfois poussés, par leur pays.
C'est le cas en Corée du Sud. Riche en devises, pauvre en terres, la patrie de Daewoo ne peut ni ne veut subvenir à ses besoins en alimentation : 75% de ce qui se mange à Séoul est importé. Aussi, mieux vaut contrôler en amont la production offshore des denrées recherchées. L'objectif est d'éviter tout risque de rupture d'approvisionnement. Les représentants de Daewoo ont fait valoir qu'ils oeuvraient pour « la sécurité alimentaire de leur pays ». Pas un mot sur les épisodes de famine qui sévissent dans le sud de Mada... Autre raison : les « accapareurs » -c'est le terme employé par plusieurs ONG- peuvent contrôler les prix à la base et engranger les bénéfices à tous les échelons de ce nouveau marché.
A ce vaste jeu du Monopoly, la Corée du Sud occuperait, selon l'association Grain, le premier rang mondial des acheteurs, suivie par la Chine, l'Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis et le Japon. Soit au total « près de 8 millions d'hectares de terres arables loués ou, dans certains cas, achetés à l'étranger ». Où précisément ? A Madagascar, on l'a compris, mais aussi en Argentine, aux Philippines, en Indonésie, en Mongolie ou encore au Soudan. La Corée du Sud aurait ainsi pris le contrôle de 2,3 millions d'hectares, ce qui représenterait « une superficie supérieure » à celle de l'ensemble de ses terres cultivées.
Le plus choquant : les pays pauvres, contraints de brader leurs terres pour obtenir des devises et espérer des transferts de technologie, sont souvent confrontés à des situations de malnutrition ou de sous-alimentation. Or les céréales produites sont destinées au pays qui investit, pas au marché local. En mai 2008, rappelle Grain, le gouvernement soudanais a réservé près de 700 000 hectares de terres pour que des Coréens y cultivent du blé et le rapatrient à la maison. Dans un même temps, le Darfour, province en guerre du Soudan, survit grâce à l'aide des Nations Unies et ses colis du programme alimentaire mondial (Pam)... Autre exemple : le Cambodge doit louer des rizières au Qatar et au Koweit, pour que ces pétro-monarchies y produisent leur propre riz, alors que le Pam achemine des millions de dollars d'aide alimentaire à Phnom Penh.
Cela étant, la FAO observe avec intérêt ces capitaux extérieurs qui présentent la particularité de générer des flux financiers Sud-Sud. Et de prôner des accords « gagnant-gagnant », qui respecteraient, selon Paul Mathieu, expert interrogé par Le Monde, « un mode d'emploi sur les contrats de location et les méthodes de compensation ». Vœu pieu ? Dans certains pays, l'accaparement des terres par des investisseurs étrangers s'est traduit par la construction d'écoles ou d'hôpitaux et le développement du marché intérieur agricole. Revers de la médaille : les pays font face à un changement du mode de vie des populations et à une perte de leur biodiversité favorisée par l'introduction de semences génétiquement modifiées. Des risques balayés par l'un des responsables, malgache, de Madagascar Future Entreprises, l'antenne de Daewoo à Antananarivo : « On essaie de compromettre les chances de développement agricole de Madagascar. Lorsqu'on discutait de notre projet avec les responsables locaux, les réactions étaient enthousiastes ». Selon ce cadre, l'accord entre Daewoo et le gouvernement serait victime du différend politique qui oppose le président Ravolamanana au maire de la capitale, Andry Rajoelina. Sans les émeutes et les morts, sans l'emballement médiatique mondial, qui a vu le Financial Times comme VSD s'intéresser soudain à l'agriculture malgache, dit-il, le projet aurait déjà vu le jour.
L.D.
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