Rideau de fer sur le journal du PC réunionnais
Presse. La rédaction est en grève contre les consignes éditoriales du Parti.
LA RÉUNION, de notre correspondant LAURENT DECLOîTRE
Trop, c'est trop. Même les moines-soldats de Témoignages, le journal du Parti communiste réunionnais (PCR), en ont assez. Depuis le 5 novembre, la rédaction de ce quotidien de seize pages, une institution à la Réunion, est en grève. Une première en soixante-quatre ans d'existence ! Jusque-là, les journalistes de «l'organe de défense des sans-défense» diffusaient consciencieusement la parole du leader historique du PCR, Paul Vergès, le président du conseil régional, dont le père avait créé Témoignages en 1944. Aujourd'hui, il est appelé «le Grand Manitou» par les grévistes et une ancienne journaliste dénonce «un culte de la personnalité».
«Esclaves». Les raisons de ce sacrilège ? La direction a remercié le mois dernier Ilan Chojnow, le rédacteur en chef, qui aurait pris trop de liberté avec la ligne du parti. «Avec lui, on écrivait avec davantage d'autonomie et une certaine marge de manœuvre», regrette Francky Lauret, pigiste. Autre procès intenté à Chojnow : avoir reproduit en une un article de l'Humanité. «Notre objectif est de porter la parole réunionnaise, pas de recopier des articles nationaux»,tance Manuel Marchal, le nouveau rédacteur en chef, seul non gréviste. Ironie de l'histoire : en 1964, Paul Vergès, alors directeur deTémoignages, avait publié des articles du Monde et de l'Humanité dénonçant la noyade d'Algériens dans la Seine au cours des manifestations contre la colonisation. Condamné à des peines de prison pour «atteinte à la sûreté de l'Etat», il prit le maquis. A cette époque, la liberté de la presse à la Réunion était un vain mot : le journal fut saisi 43 fois sur décision du préfet !
Depuis Manuel Marchal a reculé d'une heure la conférence de rédaction matinale, pour avoir le temps de monter au premier étage de l'immeuble de Témoignages : c'est là que se réunit la direction du PCR. Rien d'anormal, selon Jean-Max Hoarau, gérant du journal : «Les dirigeants du Parti exposent leur analyse de l'actualité. Aux journalistes de répercuter, c'est un fonctionnement élémentaire.» De quoi faire bondir Pascale David, porte-parole des grévistes : «Le journaliste politique a sa dignité. Animer le débat, oui, devenir des esclaves à plume, non !»
Fils. Les grévistes ont tenu une conférence de presse, organisé un «kabar» («fête»), pour mobiliser les Réunionnais. En vain. Les lecteurs ont déserté depuis longtemps le journal d'opinion, qui avait supprimé de sa une la faucille et le marteau en 2004. Témoignages n'est plus vendu qu'à 1 000 exemplaires par jour, plus 300 abonnés. Analyse de Bernard Idelson, auteur de Histoire des médias à la Réunion de 1946 à nos jours : «Témoignages était le seul contre-pouvoir à la droite, le seul média où les communistes pouvaient s'exprimer.» Aujourd'hui, le PCR est omniprésent dans l'espace politico-médiatique de la Réunion. Banalisé, Témoignages ne serait plus de grande utilité.
Pourquoi, alors, ce durcissement ? Paul Vergès, 83 ans, ne se représentera pas aux prochaines élections régionales. Le PCR, qui cherche à asseoir la candidature de son fils, Pierre, ne pouvait laisser Témoignages ouvrir ses colonnes aux autres prétendants du Parti.
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