Dans le Haut Atlas, en décembre, l'hiver s'empare du désert. Sur la piste vers les sommets enneigés, les dunes laissent place aux congères. Le GPS s'avère alors un outil précieux.
12 DECEMBRE 2008
Texte et photos: Laurent Decloitre
Difficile de se retrouver dans le souk de la médina de Marrakech, la porte du Sud marocain. Pas facile non plus de s'orienter dans le Haut Atlas central et de gagner le désert si l'on souhaite sortir des sentiers battus. A moins de s'aider d'un GPS, le guide des pistes du Maroc dans la poche. Grâce aux relevés satellitaires indiqués dans ce manuel, plus besoin -ou presque- de carte; pas d'inquiétude -ou presque- en l'absence de panneaux indicateurs; aucune hésitation -ou presque- à l'intersection de trois pistes dans un désert plat comme un m'semen (délicieuse galette à accompagner, au lever du jour, d'une goutte d'huile d'olive).
Direction la «vallée perdue» de l'oued Tessaout, encore ignorée des tour-opérateurs. Là, les Berbères vivent de pastoralisme, se retrouvent les jours de souk dans les villages situés à la croisée des pistes. Loin des cités impériales et des riads, le Haut Atlas central montre un visage du Maroc surprenant: un massif enneigé de 600 km avec des sommets de plus de 4000 mètres. La gorge que nous empruntons, rouge et encaissée, serpente le long d'une rivière froide. La piste est étroite, nous croisons de rares hommes et enfants à dos de mule. Des filles timides gardent des troupeaux de chèvres qui détalent au passage des véhicules. Les douars s'accrochent aux flancs des pans rocheux, cubes ocres aux toits recouverts de terre. Seuls les minarets blancs tranchent et se distinguent au loin. Une ingénieuse conduite d'eau détourne un bras de la rivière et actionne une meule qui écrase les grains de blé.
Des hommes en djellaba beige ou pourpre, capuche de laine sur la tête, observent debout sur les toits plats. A 1700 mètres d'altitude, la température est fraîche, très fraîche. Le M'Goun jette son ombre de 4071 m sur la vallée, silencieuse dans la pénombre. Pas d'électricité dans le village d'Ait Ali N'Itto, l'étape du jour (Premier waypoint: Nord 31°25'03'', Ouest 6°47'84''). Personne ici ne parle le français, Houcin traduit. Le guide sillonne le Maroc et la Mauritanie et trace, GPS en main, de nouveaux itinéraires. Premier thé à la menthe, sucré, premier tajine «à la viande», appellation générique désignant invariablement le mouton. Le cône de terre cuite soulevé, on mange à la main, avec Abdallah, le chef de famille. La conversation est difficile, les regards amicaux. Les tapis serviront de matelas, les bonnets de polochon.
Le col des Cœurs.
Les 4x4 se faufilent dans les canyons, franchissent les oueds à gué, traversent des villages de maisons en terre ou en pierre de taille. «Stilou, bonbone», réclament des enfants. La vallée de Tessaout s'entrouvre. Il faut désormais grimper et franchir le «col des Cœurs». La végétation disparaît, les bandes de neige zèbrent les flancs lisses des collines. Les moutons et leur toison épaisse semblent plus au chaud que les gamins qui s'ennuient à les surveiller, emmitouflés dans une succession de couches de vêtements dépareillés. La neige devient épaisse, des congères encombrent la piste, même les 4x4 patinent. Des plaques de glace, sous la poudreuse, menacent de déporter les véhicules dans le vide. Il faut sortir la pelle qui sert habituellement à se désensabler. Parti pour le le Sahara, on se prend à penser aux Alpes.
La descente se fait en zigzaguant vers la vallée de M'Goun. La vie s'accroche le long des oueds, où des palmiers et des carreaux de cultures restent verts malgré l'hiver. Le relief se repose, la pierre se désagrège, le sable s'infiltre. Nous filons, plein Ouest, sur l'oued asséché d'Isfout où des familles de bergers vivent dans des habitations troglodytes (Nord 31°02'90'', Ouest 6°00'50''). Nuit chez Lhoussine, qui fait flamber une brassée de palmes dans la cheminée, pour accompagner l'incontournable et inoubliable tajine.
La piste vers le Sud emprunte la «vallée des Roses». Rose au printemps, nue en hiver, plantée de casbahs, ces villages fortifiés aux créneaux rongés par l'érosion dominent la rivière. Les femmes travaillent dans les champs, les hommes palabrent. Une piste défoncée conduit à un amoncellement de pierres plates, semblables à des Kapla. Entre ces planchettes minérales, qu'on brise doucement à l'aide d'un marteau, les fossiles foisonnent. Les plus chanceux tombent sur des trilobites, qui évoquent la tête des monstres d'Alien et constituent une source de revenus non négligeable pour la famille Moujane (Nord 31°10'97'', Ouest 4°57'91''). Trois à trois entre la France et le Maroc lors d'une partie de foot improvisée sur un lit de pierrailles.
La dune Princesse.
Cette fois, on se rapproche de la carte postale: le Maroc, diable, c'est du sable et du désert! A l'est, la frontière algérienne et un énorme tas de sable de 22 km posé sur le reg caillouteux: les dunes de Merzouga. Surpeuplées paraît-il au printemps, désertes en hiver. On dégonfle les pneus des 4x4 pour éviter de s'ensabler et... on s'ensable dès les premiers mètres. Pelle, plaques, le véhicule s'enfonce. On repart, on s'habitue et on fonce. Suivre les crêtes des dunes, tourner avec elles, accélérer quand la raison et l'absence de visibilité commandent de ralentir. La plus haute dune, «Princesse», s'élève à 880 m. On la vise et on manque de se renverser sur un flanc trop meuble pour le poids du 4x4 (Nord 31°5'88'', Ouest 4°00'60'').
La nuit tombe, pas l'exaltation. La chaleur, si. On se souvient soudain du dicton: «Le Maroc est un pays froid où le soleil brûle.» Houcin rassure: «Il y a une petite forêt pas loin.» Une demi-heure de piste conduit effectivement à un oued desséché où des dromadaires mâchent des brindilles de 8 centimètres... Le feu de bois sera de courte durée, comme la nuit à -5°C sous la toile de la tente marocaine tendue à l'aide d'un mât unique. Le lendemain, dans l'erg Chebbi, des gamins sortis de nulle part dansent autour du feu en riant. Ils disparaissent dans la nuit en embrasant les boules d'épines qui poussent ici et là dans le sable. Houcin désapprouve le «gaspillage» de combustible.
Les sentinelles du roi.
La végétation est tout aussi rare sur le hamada (plateau pierreux) du Kem-Kem. Les cailloux noirs, comme fondus, qui constellent les étendues de sable, font penser à de mini-météorites. On se croirait dans un autre monde, lunaire (Nord 30°40'17'', Ouest 30°40'17''). Et soudain, hallucinant: comme dans le Désert des Tartares, un soldat, planté sur une butte, fixe l'étendue de sable et de rocs; 1 km plus loin, une autre sentinelle, droite sous le soleil, semble attendre l'ennemi qui ne vient pas. Et ainsi de suite, sur 40 km. Le roi Mohamed VI est en visite à Zagora, la ville du sud, et pourrait emprunter la route ainsi jalonnée d'une centaine de militaires... Bienvenue à la civilisation. La remontée sur Marrakech permet de longer la surprenante vallée du Draa, long ruban vert qui s'étire dans le reg.
A seulement 50 km de Ouarzazate, c'est de nouveau le Maroc dur, dont les montagnes écornées évoquent les paysages du Grand Ouest américain et la Monument Valley. L'étroitesse des pistes, soutenues par des murets fragiles de pierres sèches, ne permet pas l'accès à deux véhicules. Le passage des cols est impressionnant. Les lignes géologiques transforment les montagnes en gâteaux marbrés. On se gave une dernière fois de paysages avant de redescendre sur le «gîte» de Tagmote (Nord 30°, 41', 70'', Ouest 6°, 6', 95''). Pas de téléphone ni de frigidaire. Les navets et les carottes sont déterrés au gré des besoins dans le jardin recouvert de givre au matin. Il reste un quartier de mouton de la fête de l'Aïd al-Kébir, célébrée il y a peu. Va pour un tajine!
Y aller
De nombreuses compagnies desservent directement Marrakech depuis Paris.
A partir de 270 euros.Lowcost: Atlas Blue. Régulière: Royal Air Maroc. Avec escale
à Madrid, Air Iberia.
Le satellite
Pour effectuer ce trajet, se référer aux tomes 1 et 2 des Guides des pistes du Maroc, de Jacques Gandini (Extrême-Sud éditions). On peut soit saisir manuellement les waypoints des parcours sur son GPS, soit les transférer via le logiciel de navigation. Ensuite, dans l'absolu, «se laisser» guider sur l'écran par une flèche qui vous indique le cap à suivre. Lorsqu'on arrive sur un point signalé sur le guide, une sonnerie retentit.
L'homme
Houcin Ahalfi trace les itinéraires GPS des guides Gandini, mais accompagne également les touristeshors des sentiers battus. Francophone et anglophone, il s'adapte avec gentillesse et efficacité à toutes les situations. Tél.:00212(0)66591356. (atlaspassion@yahoo.fr)
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