De notre correspondant à la Réunion Laurent DECLOITRE
Lundi 10 mars 2008
L’étau se resserre. Le parquet de Bobigny (Seine-Saint-Denis) a ouvert le 26 février une information judiciaire pour «dénonciation d’un crime ou d’un délit imaginaire» à l’encontre de Mohammed Abdallah, 44 ans, principal adjoint à Pierrefitte-sur-Seine (Seine-Saint-Denis), grièvement blessé dans son collège en novembre. Les magistrats, qui avaient dépêché, il y a cinq semaines, deux enquêteurs à la Réunion, à 10 000 km de Paris, soupçonnent l’homme de s’être fait hara-kiri pour revenir sur son île d’adoption.
Coma. Les faits remontent au 10 novembre 2007. Mohammed Abdallah est retrouvé gisant dans la cour de récréation du collège Pablo-Neruda, où il a été nommé principal adjoint deux mois auparavant. Blessé à l’abdomen, un couteau de cuisine à ses pieds, le chef d’établissement est plongé dans le coma. Nicolas Sarkozy s’empare du fait divers. Le président de la République dénonce un «acte barbare». A la Réunion, c’est le branle-bas de combat. A 2 heures du matin, Jean-Claude Ramassamy, principal du collège de BrasPanon, une commune rurale, est réveillé par les gendarmes. Mohammed Abdallah a été durant six années le gestionnaire de l’établissement. Le préfet, appelé en urgence par Xavier Darcos, le ministre de l’Education nationale, cherche l’épouse de la victime. Mais voilà, le résultat de l’ADN prélevée sur le couteau indiquerait qu’il n’y a «pas eu l’intervention d’un tiers».
Mohammed Abdallah se serait-il mutilé pour revenir à la Réunion ? Meziane Mezari, représentant FCPE des parents d’élèves du collège PabloNeruda, ne veut pas croire à cette nouvelle version des faits : «Il ne donnait pas l’impression d’être dépressif ou d’être détraqué au point d’en arriver là.»
Un an auparavant, alors qu’il était encore à la Réunion, Mohammed Abdallah a été affecté au rectorat. «Il ne l’a pas bien vécu, il pensait qu’il méritait mieux» , croit savoir une collègue. «Partout où il passait, il rencontrait des problèmes sur les questions de notation et de mutation, il était manipulateur» , lâche même un fonctionnaire. Et de conclure, froidement : «Franchement, je le crois capable d’un tel geste.»
D’autres décrivent au contraire le quadragénaire comme un homme «doux, compétent et carré». Toujours est-il que Mohammed Abdallah demande, sans passer le concours habituel, à être «détaché» sur un poste de chef d’établissement. A la Réunion, chaque année, une trentaine de candidats sont reçus et nommés, pour la plupart, en métropole. Il est arrivé que des professeurs s’enchaînent aux grilles de l’administration pour refuser cet «exil». Rien de tel, apparemment, chez Mohammed Abdallah. «Il savait qu’il devrait partir, il en avait discuté avec son épouse, assure l’avocate Frédérique Fayette. C’était une décision réfléchie.» Mais une fois en métropole ? «Tout quitter pour des raisons professionnelles est un choix de vie difficile, qui exige de grandes capacités d’adaptation» , analyse Frédéric Le Bot, médecin et conseiller technique du recteur. «Faute d’environnement familial ou amical» , les plus fragiles peuvent développer des «compensations pathologiques».
«Séparation». Raynald Pressé, aujourd’hui principal dans un collège du sud de l’île, a lui-même connu cet arrachement. Après le concours, il a dû vivre seul trois ans près d’Angers. «Je voyais mon épouse et mes enfants à chaque vacances. C’est ce qui rendait supportable la séparation» , confie-t-il. Aujourd’hui, Mohammed Abdallah, qui avait été placé quarante heures en garde à vue fin janvier, est libre - toujours à la Réunion -, et se dit «étonné». L’homme a maintenu ses déclarations initiales : attaqué, il n’aurait pas aperçu son agresseur. Il n’a visiblement pas convaincu et s’attend à être convoqué par un juge d’instruction.
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