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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
La Réunion victime de son «sabre»

Laurent DECLOITRE
Jeudi 1er novembre 2007
 
A la Réunion, on ne tue pas à coups de fusil. On choisit le sabre, le nom créole donné au coupe-coupe. Pas un week-end sans un conflit réglé à l’aide de cette arme blanche de sixième catégorie, outil agricole «très utile pour couper la canne à sucre» et «régler des litiges», lit-on, incrédule, sur le site de la Ptite gazette de l’île de la Réunion. Tout le monde en possède un à la «case», indispensable pour maîtriser la végétation tropicale. Beaucoup en cachent sous le siège de leur véhicule, une pratique plus ou moins tolérée par les forces de l’ordre.

C’est le cas de Virgile, un maçon de 50 ans : «Si domoun cherch amoin, mi rale mon sab é mi coup ali», («si quelqu’un me cherche, je prends mon sabre et je le tue»), prévient l’ouvrier, en quittant son chantier. «C’est le couteau suisse des Réunionnais», lâche sans rire l’avocate Marion Riess à la sortie du «procès du siècle» : en septembre, les meurtriers de l’ancien champion du monde de boxe française Johnny Catherine ont écopé de peines de six mois à dix ans de prison ferme. Ils avaient coupé le pied de leur victime à l’aide de sabres et exhibé leur trophée. Grondin, une bière à une main, un verre de rhum dans l’autre, comprend ce geste. Gesticulant devant le punching-ball accolé au comptoir d’une gargotte, l’homme voudrait qu’on coupe «lé zeuf» des violeurs (les castrer). André Buisson, neuropsychiatre qui intervient dans les commissariats durant les gardes à vue, rappelle qu’avec le sabre, «on ne se contente pas de tuer son adversaire, on le dévirilise».

«Tribal». Cinquante affaires par jour. Ce type de procès est ordinaire au palais de justice de Saint-Denis. Ce jour-là, quatre affaires sont jugées en comparution immédiate. Deux portent sur des violences avec sabre. Jean-Emerick attend le verdict, les mains menottées, le buste penché en avant. Le dimanche précédent, il a poursuivi, un coupe-coupe à la main, les pompiers venus le secourir. «Moin lété sou léfé, mon têt la bloké» («j’hallucinais, j’ai pété un plomb»), confie le jeune homme. Il avait avalé du rhum et des cachets de Rivotril, (un antiépileptique), un cocktail qui fait des ravages dans le département. Quatre mois de détention. A ses côtés, Imangue, un bandeau souillé autour de la tête, souvenir du coup de sabre reçu samedi lors d’une «pousse» (course de voitures), en prend pour trois ans : il a «piqué» son adversaire de coups de couteau. La vice-procureur Hélène Sigala lâche, un brin désabusée : «On est dans un autre monde, avec d’autres codes.»

Et que dire du geste fou d’un Alix Noël ? En septembre, alors qu’il sortait de six ans de détention pour avoir blessé son ex-femme, le forcené achète un coupe-coupe (7 euros en quincaillerie), l’aiguise et se rend de nouveau chez son ancienne compagne. Là, il massacre son petit-fils de 15 mois, lui tranche un poignet, blesse une fillette de 2 ans, tue de 27 coups de sabre Béatrice. Un «zanimo», conspue la foule lorsque le récidiviste est présenté au palais de justice de Saint-Pierre. «A la Réunion, les situations conflictuelles dégénèrent très vite, généralise Sébastien Badoux, commandant de la compagnie de gendarmerie de Saint-Denis. En métropole, neuf fois sur dix, cela se termine par une bagarre à mains nues. Ici, on sort le sabre.» Illustration encore, avec ce titre de la presse locale : «Il coupe son frère pour un fond de bière.»

Autre exemple ? A la rentrée, un élève de 15 ans a été blessé à la tête d’un coup de machette, devant les grilles d’un lycée professionnel. Candice Gratécos, substitut du procureur, compte les coups. «Les affaires de sabre ? Près d’une cinquantaine par jour, estime la magistrate. On est obligé de gérer la masse.» S’il n’y a pas de blessure, le délégué d’une des 26 maisons de justice et de droit du département procède à un simple rappel à la loi.

«Pathologie».
Mais n’y aurait-il pas une surmédiatisation ? Certains, comme le sociologue Laurent Médéa, spécialiste des questions d’identité créole et de délinquance, le pense : «Le sabre, ça fait tribal pour les Européens. Comme s’il était plus noble de tuer quelqu’un avec un fusil !» Michel Clément, directeur départemental de la sécurité publique, rappelle que «la Réunion a une délinquance globalement faible» : 54 délits pour 1 000 habitants dans le chef-lieu, alors que «le taux dépasse la centaine dans certaines villes de métropole».

En septembre, la délinquance a même baissé de 14 % sur l’ensemble de l’île. Mais le patron des policiers reconnaît que les chiffres explosent par ailleurs. La Réunion passe au 24e rang des départements français si l’on ne prend en compte que «les atteintes volontaires à l’intégrité physique». En clair, les menaces et les coups. Dans cette catégorie, la moitié des cas implique l’usage du sabre. L’ethnopsychanaliste Jean-François Reverzy évoque une «pathologie collective de la division». Un scénario sur lequel fonctionnerait l’ensemble de la société réunionnaise, le coupe-coupe faisant office de symbole : ainsi, en 2000, un sénateur-maire s’était opposé à la bidépartementalisation de la Réunion avec le slogan «Coup pa nou !». Autre rapprochement symbolique : les Tamouls (les hindous de la Réunion) «coupent le cabri» lorsqu’ils décapitent les chèvres pour les offrir à leurs divinités. Une tradition que le préfet tente de recadrer… à grand-peine.

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M
la reunion lé la<br /> c'est pas non plus le far west la reunion je pense en effet qu'il ya surmédiatisation la réunion est magnifique et un modèle de métissage. la reunion lé la lo frére... Vendredi 02 Novembre 2007 - 12:59
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