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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
A la maternité de Mamoudzou, en février 2023. (Bastien Doudaine/Hans Lucas)

A la maternité de Mamoudzou, en février 2023. (Bastien Doudaine/Hans Lucas)

Le taux de fécondité est descendu l’an dernier sous les quatre enfants par femme, une première. Bien que les trois quarts des mères de nouveau-nés soient étrangères, le durcissement du droit du sol ne permet pas d’expliquer cette diminution.

Libération du 29 mai 2025
De notre envoyé spécial,
Laurent DECLOITRE

A la maternité de Mamoudzou, où des femmes enceintes s’endorment sur le sol cimenté de la salle d’attente à force de patienter, où les sages-femmes et gynécologues se croisent fébrilement dans les couloirs, on a du mal à intégrer l’enquête démographique de l’Insee : pour la première fois, l’institut a constaté que le taux de fécondité à Mayotte était inférieur à quatre enfants par femme. En 2024, il s’est en effet élevé à 3,6 contre 4,5 en 2023, d’où une «forte baisse», historique, du nombre de naissances, de 13,3 % par rapport à l’année précédente. Soit 1 370 bébés en moins pour un total de 8 910 naissances.

«C’est une excellente nouvelle», réagit Raysate Abdallah, chargée de la santé sexuelle et reproductive auprès de la Croix-Rouge. Effectivement, avec 321 000 habitants, selon le dernier recensement – contesté – de l’Insee, peut-être davantage avec les sans-papiers qui échapperaient au décompte, Mayotte croule sous le poids de ses habitants : les services de l’Etat et des collectivités sont submergés par le nombre de bénéficiaires, faute d’équipements et de personnels calibrés en proportion de la population, comme cela le serait en métropole.

Fatima et Abdul (1), qui regardent tendrement leur bébé de cinq jours, illustrent ce fléchissement. «C’est notre troisième et c’est bon, c’est fini», lance en souriant la mère de famille, naturalisée française alors que son mari, lui aussi d’origine comorienne, est titulaire d’un titre de séjour de dix ans. «On est trop nombreux», estime Fatima, qui, quelques heures seulement après son accouchement, a été transférée sur Petite-Terre, une île au large de Mamoudzou, faute de lits suffisants au centre hospitalier. Et puis, «ça coûte cher un enfant, il faut le nourrir, l’habiller, l’éduquer…»

Des heures d’attente

A la Croix-Rouge, Raysate Abdallah anime justement des ateliers sur cette charge financière. Argument de poids sachant que les mères en situation administrative irrégulière ne peuvent percevoir les allocations familiales. «Nous intervenons également auprès des jeunes, en formant des ambassadeurs dans les établissements scolaires, ou en leur proposant des applications sur cette thématique. Ça porte enfin ses fruits», se réjouit l’employée de la Croix-Rouge. Surtout, la chargée de santé sexuelle et reproductive lutte contre les croyances, encore vives chez certaines habitantes de Mayotte : «Beaucoup croient que si leur pipi ne mousse pas sur de l’eau de javel, c’est qu’elles ne sont pas enceintes. On leur dit de faire un vrai test !»

Même si la situation socio-économique de Mayotte place l’île au plus bas de tous les indicateurs français, le développement, poussif, du département, pourrait également expliquer cette baisse de la fécondité, les femmes se trouvant mieux informées sur leur santé sexuelle. C’est l’hypothèse émise par Houdjati Hairati, sage-femme libérale : «De plus en plus de mamans sans protection sociale [en situation irrégulière] viennent nous voir et paient elles-mêmes la consultation de 31 euros.»

Elles pourraient ne rien avoir à débourser dans un centre de protection maternelle et infantile (PMI), mais ces instances, gérées par le conseil départemental, sont «en grande difficulté», peinent à recruter des sages-femmes et ne peuvent gérer les flux du public. D’où des heures d’attente et un accueil parfois limite. On l’a constaté dans une PMI du nord de l’île, où les mères patientent sous le soleil, alors que la salle d’attente, climatisée, est vide, interdite d’accès. La sage-femme, visiblement débordée, lâche en entrebâillant sa porte : «On n’en peut plus, mais elles continuent de venir.»

«J’ai demandé la pilule, ils m’ont dit non, sans raison»

Aoudhoihi Hadia, 17 ans, qui a accouché de son bébé Rayan en avril, a apparemment fait les frais de cette situation. «Je ne voulais pas d’enfant, alors j’ai demandé à la PMI la pilule. Ils m’ont dit non, sans raison», assure la lycéenne, d’origine comorienne comme le père, qui habite un bidonville de Tsoundzou, au sud de Mamoudzou. Une employée du centre incriminé se justifie : «On ne donne pas la pilule comme ça ! Autant afficher libre-service ! Tout est gratuit pour elles, alors que moi, je dois payer ma contraception

L’Insee s’interroge également sur le rôle de la politique menée par le gouvernement en matière de droit du sol. Trois-quarts des mères des nouveau-nés à Mayotte sont, aujourd’hui encore, de nationalité étrangère, dans la très grande majorité des Comoriennes ; aussi, beaucoup de Mahorais estiment que ces femmes, immigrées clandestinement depuis le pays voisin, distant de 70 km, viennent accoucher dans le département français pour obtenir à terme la nationalité française. «C’est évident, les jeunes femmes sont envoyées depuis les Comores pour faire des bébés “papiers” chez nous. Un moyen pour les Comores de nous envahir petit à petit…», assure, avec un argumentaire rappelant celui du grand remplacement, Sitti Omar, ancienne hôtesse de l’air de 61 ans et militante du Collectif des citoyens 2018, qui multiplie les actions contre l’immigration irrégulière.

En 2018, la loi a conditionné l’accès à la nationalité française pour les enfants nés à Mayotte de parents étrangers à la résidence régulière d’au moins l’un des parents sur le territoire français depuis plus de trois mois au moment de la naissance. Cette dérogation au principe républicain du droit du sol a encore été étendue par la loi du 12 mai 2025 : désormais, pour devenir français, ce sont les deux parents qui doivent être en condition de séjour régulier et depuis un an minimum.

Saturation de la maternité

De fait, dans son cabinet de sage-femme, Houdjati Hairati reçoit de moins en moins souvent «des femmes enceintes ou venant d’accoucher quelques jours après leur arrivée en kwassa-kwassa», ces barques motorisées utilisées par les passeurs comoriens. Mais sur plusieurs années, les données chiffrées de l’Insee relativisent le lien entre le durcissement du droit du sol et le taux de fécondité. En 2018, l’institut a dénombré 7 130 naissances de mère étrangère, mais bien plus en 2022 (8 100) et en 2023 (7 700). Ce n’est que depuis l’année dernière que l’on observe une baisse. Conclusion de l’Insee : «Cette hypothèse ne s’observe pas dans les chiffres.» Les enquêteurs estiment plutôt que «cela s’inscrit dans un contexte national de baisse de la fécondité». Sur l’ensemble de la France, le nombre de naissances a encore diminué en 2024, de 2,2 %, soit - 21,5 % par rapport à 2010, année du dernier pic de fécondité. A Mayotte, une autre explication tient au contexte tendu du département : de plus en plus de femmes, 15,2 %, vont accoucher à la Réunion ou en métropole, fuyant la saturation de la maternité de Mamoudzou. On comptait ainsi 410 naissances à l’extérieur en 2024, contre 240 en 2020.

Assurance sur l’avenir

Malgré tout, Mayotte bat encore tous les records de France : 3,6 enfants par mère contre 3,1 en Guyane et 1,6 en métropole. D’une part, sur ce territoire musulman, les femmes hésitent encore à recourir à l’avortement. «En cas d’accident, elles le gardent souvent», constate Yohann Mvogo, maïeuticien à Chirongui, dans le sud-ouest de l’île. D’autre part, avoir une grande famille est une assurance sur l’avenir, estime Akilahy Masserine, qui gère la maison de la parentalité de M’sapéré, en banlieue de Mamoudzou : «Elles font beaucoup de bébés pour qu’au moins un des enfants s’occupe d’elles une fois vieilles

Enfin, culturellement, une grande famille est signe de prospérité, de santé, de bonheur tout simplement. C’est l’avis d’Houmadi Farihati, 18 ans, élégante dans son salouva bleu et doré, qui sort tout juste d’une fausse couche et espère avoir «cinq enfants»… mais après l’obtention d’un BTS en commerce. La jeune femme, née à Mayotte, n’a pas encore fait de démarches pour l’obtention de la nationalité française, tout comme sa copine de 17 ans, qui lance en riant : «Moi, j’en veux dix !»

(1) Les prénoms ont été modifiés.

 

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