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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Emmanuel Macron avec le président du conseil départemental de Mayotte Ben Issa Ousseni à Mamoudzou le 21 avril 2025. (Ludovic Marin /AFP)

Emmanuel Macron avec le président du conseil départemental de Mayotte Ben Issa Ousseni à Mamoudzou le 21 avril 2025. (Ludovic Marin /AFP)

En visite express ce lundi 21 avril sur l’île dévastée par le cyclone Chido il y a quatre mois, le Président a promis un «coup d’accélérateur» avec 3,2 milliards d’euros pour sa reconstruction, face aux reproches des Mahorais, qui estiment l’effort de l’Etat pour le moment «insuffisant».

Libération du 21 avril 2025
De notre envoyé spécial Laurent DECLOITRE

Et un énième plan sécuritaire. Lundi 21 avril, Emmanuel Macron a annoncé, dans l’hémicycle du conseil départemental de Mayotte, le lancement de «Ouhoura Wa Shaba». Le mur de fer, en shimaoré, est un nouveau plan de lutte contre l’immigration clandestine, qui table sur 35 000 reconduites à la frontière par an d’immigrés clandestins venus des Comores voisines et du continent africain, contre 25 000 aujourd’hui. Une promesse qui est venue conclure une visite éclair d’un jour à Mayotte, quatre mois après le cyclone Chido, qui a dévasté le département le 14 décembre.

L’accueil réservé le matin au président a oscillé entre chaleur et récriminations. Si, à Tsingoni, au centre de l’île, des Mahorais ont dansé et chanté le chengué, un cérémoniel religieux des plus joyeux, d’autres ont fait part de leur exaspération. Riday Zazibou assure qu’elle n’a toujours pas été remboursée des dégâts. «J’ai dû partir un mois en métropole pour mettre mes enfants en sécurité», accuse la mère de famille, un petit drapeau français à la main. A ses côtés, une habitante réclame l’application des prêts à taux zéro, promis par l’exécutif : «On nous demande la lune en pièces administratives, et en attendant, on dort sous les bâches !» Emmanuel Macron, accompagné de son épouse une partie de la journée, se veut rassurant. «On va alléger les procédures», promet-il. Au pied de la plus vieille mosquée de France, les habitants sont sceptiques. Yves Abi habitait avec sa grand-mère à Tsingoni, mais le cyclone a arraché le toit ; depuis, son aïeule s’est réfugiée dans sa famille et le mécanicien vit seul dans la maison détruite, dans une chambre de fortune. «L’effort de la France est insuffisant», conclut-il.

«On ne demande pas de reconstruire Mayotte, mais de la construire»

A quelques kilomètres, à Acoua, une commune de 6 000 habitants au nord-ouest de l’île, le maire, Marib Hanaffi (droite), est tout aussi sévère. «On n’a pas pu reconstruire le local technique de la mairie, les écoles, la MJC, la police municipale… Aucune réponse à nos demandes d’aides supplémentaires !» Alors la loi-programme sur le développement, qui devrait être votée en juin, le laisse dubitatif : «On ne demande pas de reconstruire Mayotte, mais de la construire ; cela n’a jamais été le cas.»

Illustration avec les coupures d’eau. «Ça arrive tous les deux jours ! Comment on fait pour la toilette, la cuisine, la lessive ? On subit depuis des années», se désole Abdou Be Mohamed, artisan à la retraite à Mtsamboro, dans le nord de Mayotte. La troisième retenue collinaire et les usines de désalinisation promises depuis des lustres, censées mettre fin à cette pénurie, n’ont toujours pas vu le jour. Dans l’unique hôpital de l’île, à Mamoudzou, où Emmanuel Macron s’est arrêté, le constat d’immobilisme est le même : il manque encore du personnel, malgré des mesures de recrutement de plus en plus attractives. «On a la réserve mais cela ne dure que deux ou trois semaines», déplore une infirmière.

Séquence sécuritaire

Sous la chaleur moite de l’été austral, le Président, accompagné de quatre ministres, promet de donner «un coup d’accélérateur à la reconstruction». Il reconnaît cependant que «ce n’est pas un texte de loi» qui va tout changer, «mais l’engagement de tous»… De fait, dans les forêts, les arbres ont commencé à refeuillir, et l’exploitation agricole de Komo, qui plante des bananiers et élève des poulets dans la campagne de Combani, devrait retrouver sa production de 2024 «dès cette année». La plus grande partie des maisons des villes semblent désormais réparées. Même les bidonvilles, de planches et de tôles, ont été reconstruits par leurs habitants, la plupart du temps des sans-papiers, au grand dam de l’exécutif, qui inclut dans «la refondation» de Mayotte la lutte contre l’immigration clandestine.
Depuis le port de Longoni, Emmanuel Macron a d’ailleurs improvisé une séquence sécuritaire en embarquant sur un intercepteur de la police de l’air et des frontières. Les zodiacs sont chargés d’arraisonner les kwassas, ces barques à moteur pilotées par les passeurs depuis les Comores, distantes de 70 kilomètres. Grisé, lunettes de sécurité sur le nez, le Président a pris les commandes de l’embarcation, filant à près de 70 km/h… En 2023, 965 kwassas ont été détectés par les forces de l’ordre, 661 interceptés, soit près de 8 700 clandestins arraisonnés en mer. Le sujet des étrangers en situation régulière est également au cœur de la colère des Mahorais. A ce jour, les personnes qui bénéficient d’un titre de séjour ne peuvent se rendre en métropole, contrairement au droit commun qui permet une libre circulation sur le territoire français, et restent donc à Mayotte. Des titres de séjour «territorialisés» que les élus de l’île souhaitent voir disparaître. Fin de non-recevoir de Manuel Valls, ministre des Outre-Mer, lui aussi du voyage : «Pour le moment on ne bouge pas

3,2 milliards d’euros pour la loi de refondation

Ceci expliquant cela, le 10 avril, le conseil départemental a rendu un avis «réservé» sur le projet de loi de refondation. Lundi après-midi, Ben Issa Ousseni (droite), président de la collectivité, a rappelé que le texte n’est «pas à la hauteur de l’attente de la population mahoraise». Le maire de Sada, Houssamoudine Abdallah, renchérit : «Le sentiment dominant est le découragement.» De son côté, la députée Liot Estelle Youssouffa a exhorté l’exécutif à mettre fin aux inégalités, qui pousseraient les Mahorais à «quitter le territoire». Un des litiges porte notamment sur la convergence sociale, que le gouvernement souhaite voir négociée avec les partenaires sociaux d’ici 2031 «au plus tard», alors que les conseillers réclament un simple décret pour aligner sur la métropole le montant des transferts sociaux. Aujourd’hui, le RSA s’élève à un peu plus de 300 euros à Mayotte, contre le double en métropole. Le Smic ? Il est de 1 361 euros brut par mois dans le département d’outre-mer, contre 1 801 en métropole…
En réponse à ces exhortations, Emmanuel Macron est d’abord revenu sur les aides d’urgence accordées après le cyclone, soit 500 millions d’euros, et a promis que la loi de refondation consacrerait 3,2 milliards d’euros à Mayotte, pris sur le budget de l’Etat, mais aussi grâce à des enveloppes de l’Union européenne et des bailleurs internationaux. Avant son départ à la Réunion en fin de journée, puis sa participation jeudi 24 avril au cinquième sommet de la Commission de l’océan indien (COI), il a voulu faire montre de fermeté. A ce jour, les Comores s’opposent toujours à la présence de Mayotte, territoire qu’ils revendiquent, dans l’instance de coopération régionale qui accueille également la Réunion, les Seychelles, Maurice et Madagascar. «Je vais plaider pour que Mayotte y ait sa place», a indiqué Emmanuel Macron. Une revendication «d’autant plus légitime que la France finance 40 % des projets de la COI», a-t-il ajouté.

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