Victimes collatérales des lignes hameçonnées, les tortues sont ramenées à terre, soignées et relâchées dans le cadre d’un partenariat pour une pêche durable.
Libération du 2 décembre 2024
De notre correspondant Laurent Decloitre
« Ça va pupuce ? » Anaïs, aide-soignante au centre de découverte Kélonia, situé à Saint-Leu, sur la côte ouest de La Réunion, veille à ce qu’Élodie, une tortue caouanne de 43 kilos, ne s’agite pas trop dans son bac. Ce vendredi matin, le reptile aux couleurs marron-orangé vient d’être sorti de son bassin ; cela faisait six mois qu’Élodie était en convalescence, après avoir été capturée accidentellement par un palangrier. Ce type de bateau laisse trainer derrière lui des lignes hameçonnées d’une quinzaine de kilomètres. À La Réunion, 1000 tonnes d’espadon, la cible visée, sont ainsi capturées chaque année. Mais les quarante-trois navires en activité emplissent également leur cale de 600 tonnes de prises accessoires. Lorsqu’il s’agit de thons, c’est tout bonus. Si des requins mordent aux lignes appâtées de calamars et de maquereaux, les pêcheurs les relâchent en mer, sans qu’on sache ce que deviennent les squales blessés.
Il y a d’autres victimes collatérales : les tortues. Cinq espèces évoluent dans les eaux réunionnaises. L’Union internationale pour la conservation de la nature juge la population des tortues vertes et tortues imbriquées, que l’on observe non loin du rivage, dans un « état favorable ». En revanche, on dispose de très peu de données sur les tortues caouanne, les tortues olivâtres et les tortues luth, « vulnérables », qui évoluent en pleine mer. Or ce sont elles qui mordent aux appâts des palangriers.
Jusqu’à l’an dernier, les pêcheurs ne savaient pas trop quoi en faire : il est interdit de capturer, de transporter, et bien sûr de manger ces espèces protégées. « Certains capitaines les ramenaient au centre Kelonia, mais se trouvaient en butte avec les gendarmes en cas de contrôle à bord », raconte Pierre-Yves Brachelet, chargé de mission à l’association réunionnaise interprofessionnelle de la pêche et de l’aquaculture (Aripa). Il fallait donc formaliser cette pratique aléatoire. Comme la flottille réunionnaise bénéficie depuis 2022 d’un label de pêche durable pour l’espadon, délivré par la MSC, elle a pu obtenir un financement de cette organisation internationale, qui lutte pour la préservation des ressources marines. Le projet Save Turtle Run a alors été lancé en avril dernier.
Depuis, les pêcheurs ont été formés par le Centre technique de recherche et de valorisation des milieux aquatiques (Citeb) aux gestes qui sauvent, et ont reçu un kit d’outils adaptés : pince à fil, écarteur de mâchoire, mors en bois… Morgan Le Guernic, capitaine du Grand Morne, un palangrier de 16 mètres, sait désormais comment procéder : « On ramène la tortue à bord, sans trop tirer sur le fil pour ne pas la blesser davantage. On se met à quatre pattes, on lui bloque les nageoires et on essaie d’enlever l’hameçon sans se faire croquer ». Si les membres d’équipage y parviennent, la tortue est relâchée ; si le piège est enfoncé dans la l’œsophage, ils placent l’animal dans une caisse, sans eau, à l’ombre, couverte d’un tissu humidifié et la ramènent à terre. Les soigneurs de Kelonia transportent alors la tortue blessée chez un vétérinaire, qui l’opère, sous anesthésie générale.
Éviter les zones de migration
Les reptiles sont ensuite en convalescence durant trois à six mois dans les bassins du centre de soins et de découverte. « Le taux de survie est de 80% », se félicite Stéphane Ciccione, le directeur. Élodie a eu de la chance : inopérable, elle a pu évacuer par les voies naturelles, sans se blesser, l’hameçon logé dans l’estomac. Dans le bac voisin, Xena a, elle, rejeté un bouchon en plastique noir, triste rappel de la pollution des océans. Depuis le lancement du projet, plus de 80 tortues ont déjà été sauvées.
À bord, les capitaines, qui perçoivent pour cela une indemnité de 50€, doivent prendre en photo l’animal et renseigner une fiche technique : date, heure et lieu de la prise, types d’hameçon et d’appât utilisés… Car le projet a une visée scientifique. À terme, l’objectif est de déterminer les couloirs de migration et les zones de nourriture des tortues, pour éviter d’y lancer les lignes de pêche. « On manque encore de données, analyse Salomé Khatib, ingénieure en halieutique au Citeb, mais on a déjà quelques pistes ». Ainsi, il semblerait que les captures soient plus fréquentes en fin d’année, au début de l’été austral, et que les hameçons circulaires soient moins dangereux, car restant au niveau du bec des tortues. « Le rêve ultime, s’enthousiasme Pierre-Yves Brachelet à l’Aripa, serait que... (voir la suite sur Libération)
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