Les prisonniers malgaches souffrent de grave malnutrition et d’insuffisances, jusqu’à en mourir parfois. «Libération» a pu visiter la maison centrale de Moramanga à l’est de l’île, qui compte 680 prisonniers et du manioc comme seul repas.
Libération du 22 décembre 2024
Laurent DECLOITRE, envoyé spécial à Madagascar
Du manioc, du manioc, encore et seulement du manioc. Ni légumes, ni fruits, encore moins de la viande ou du poisson. La grande majorité des 680 détenus de la maison centrale de Moramanga, à trois heures à l’est de la capitale, ne se nourrissent que de ce tubercule. Ou presque : les deux plats quotidiens, servis à 11h30 et 16 heures, sont parfois remplacés par du maïs, également bouilli, ou des haricots secs. Un régime qui provoque de graves cas de malnutrition.
Fanja Randriarimanga, cheffe du service de médecine générale à l’hôpital de Moramanga, reçoit souvent des détenus «dans un état critique», ne pesant plus que 40 kilos. «La malnutrition diminue les défenses immunitaires, rappelle la praticienne. Ils souffrent d’insuffisances respiratoires ou rénales et de tuberculose.» Elle dit constater entre quatre et cinq cas par mois. Pourtant, ce vendredi la pièce sombre qui sert d’infirmerie est vide, comme si tout allait bien. Les détenus au crâne rasé sont accroupis dans la minuscule cour intérieure, serrés les uns contre les autres, écoutant avec crainte les consignes d’un gardien.
Le pasteur Rakotoarivelo Rivoniaina Rado, aumônier de la prison, se rend souvent dans le bâtiment aux peintures salies et passées. Il se souvient d’un «prisonnier mort de faim» il y a quelques semaines. Ce genre de décès n’est pas rare dans le pays. L’administration pénitentiaire nationale en a reconnu six autres entre août et septembre, à la prison de Mananjary, dans le sud-est de l’île. En 2019, Amnesty International avait déjà publié un rapport alarmant sur la situation des détenus malnutris à Madagascar.
Soutiens extérieurs
Outre le manque de diversité de la nourriture, la quantité fait également défaut. Le directeur du centre de Moramanga, Christian Rakotovao Tsafehy, dispose de 44 tonnes d’aliments fournies par l’Etat. Soit à l’année, une écuelle de 90 grammes par détenu et repas… si la totalité de la nourriture était comestible. Or le local qui contient le manioc croule sous une poudre jaunâtre, signe de décomposition des racines. Quant au maïs, deux prisonniers marchent sur les grains à la recherche des déjections de rats, qu’ils enlèvent tous les matins.
L’Etat compte, en réalité, sur les soutiens extérieurs. Sœur Marie-Aimée, membre de la congrégation des petites servantes du Sacré-Cœur, apporte ainsi, quatre fois par semaine, «du riz cuit, des légumes, des œufs». De quoi sustenter une quarantaine de détenus de Moramanga, «les plus démunis et malades», précise la souriante quinquagénaire, qui soigne également des lépreux dans son dispensaire.
Quant aux familles, elles ne sont pas si nombreuses à pouvoir aider leurs proches. «Seulement 60 d’entre elles ramènent à manger sur 680 détenus», constate Julie Hanta, la directrice adjointe. Un tiers des personnes incarcérées sont originaires d’un district situé à 75 km, où vit la communauté Betsimisaraka. «Là-bas, la prison déshonore toute la famille, qui considère alors le détenu comme un homme mort», déplore le directeur du centre. Rémi, un détenu condamné à cinq ans pour viol, a plus de chance : «La famille m’apporte du manioc et du riz, parfois de la viande.» Ses proches doivent tout de même parcourir 40 km de route en taxi-brousse, ce qui leur coûte 10 000 ariarys par semaine (2 euros). Une somme importante à Mada, qui compte parmi les pays les plus pauvres au monde.
Corruption
Sous un kiosque en bois, d’autres familles patientent. Simone a apporté ce matin du café à son mari, en détention préventive pour coups mortels. La lessiveuse, en train d’allaiter son bébé, vient tous les jours, même «si c’est compliqué». Sa voisine, au visage marqué par les années, confirme. Son fils purge une peine de cinq ans pour vol de bœufs. «C’est de plus en plus difficile de ramener du charbon pour qu’il puisse cuisiner, soupire-t-elle sous son chapeau de paille. Aucun de mes huit autres enfants ne m’aide.» Or ces modestes colis ne parviennent pas forcément à leur destinataire. Un avocat du barreau de Moramanga, qui assure avoir reçu «des menaces verbales», dénonce «des gardiens qui se servent». Pour être certain d’être nourri, il faudrait leur graisser la patte, allégation démentie par la direction de l’établissement.
Face à cette situation dramatique le président malgache Andry Rajoelina veut relancer les «camps pénaux» : des surfaces cultivées par les prisonniers, qui leur fourniraient de quoi se nourrir. Mais les deux terrains gérés en brousse par la maison centrale de Moramanga n’ont pas produit grand-chose à ce jour… Le directeur met tous ses espoirs sur la prochaine récolte, en juillet, grâce à l’emploi d’une nouvelle technique de culture, enrichie au compost. Cela étant, faute de local adéquat, personne ne sait encore où il sera possible de stocker la centaine de tonnes attendues. Des tonnes de… manioc, encore et toujours.
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