Sur une radio locale et auprès de «Libération», Johnny Payet veut «laisser le passé au passé», s’opposant notamment à une très populaire fête locale commémorant l’abolition de l’esclavage.
Libération du 19 juin 2024
De notre correspondant Laurent DECLOITRE
Invité mardi 18 juin 2024, sur les ondes de Réunion 1ère, Johnny Payet, le secrétaire départemental du RN, a estimé qu’aujourd’hui «on ne doit plus parler de l’esclavage». Contacté par Libération, le maire RN de la Plaine-des-Palmistes, une commune montagnarde de 6 600 habitants, a précisé sa pensée : «Le fait de rappeler à nos enfants qu’ils sont descendants d’esclaves attise la haine.» Et d’ajouter que «personnellement» lui et sa famille ne célébraient pas la fèt kaf (littéralement la fête des noirs, en créole), la manifestation la plus populaire du département d’outre-mer.
Chaque 20 décembre, des dizaines de milliers d’habitants commémorent, au son du maloya, l’abolition de l’esclavage, qui eut lieu le 20 décembre 1848 à la Réunion. Un détail pour Johnny Payet, qui veut «faire un pas de mille ans» et «laisser le passé au passé»… Ses propos ont indigné l’ensemble de la classe politique locale. Il fallut en effet attendre 1983 et l’arrivée de la gauche au pouvoir pour que la «fête des letchis» d’alors soit remplacée par une manifestation rendant hommage aux quelque 60 000 esclaves affranchis en 1848.
Ce mercredi matin, les conseillers départementaux ont voté deux motions pour condamner le seul maire RN de l’île. Le président (divers droite) de la collectivité, Cyrille Melchior, a déclaré : «Tenir ce genre de propos, c’est renier son passé parce que nous sommes tous des descendants d’esclaves ou d’engagés, quelle que soit notre couleur de peau.» Son alter ego, Huguette Bello, présidente du conseil régional, a estimé que Johnny Payet avait «dévoilé le vrai visage du Rassemblement national». Pour l’élue proche de Jean-Luc Mélenchon, «cette position préfigure la façon dont l’histoire sera revisitée par l’extrême droite si celle-ci accéde au pouvoir». Le PS local a renchéri : «Notre culture réunionnaise serait en danger si le Rassemblement national devait être aux commandes du pays !»
Deux candidats RN aux législatives se sont même désolidarisés de leur collègue. Jean-Jacques Morel, qui fait campagne dans la première circonscription de Saint-Denis, a rappelé que «les périodes sombres de notre passé resteront à jamais gravées dans le marbre de notre histoire. Nous devons les garder à l’esprit pour éviter qu’elles ne se reproduisent». Jean-Luc Poudroux, candidat RN dans la septième circonscription, a jugé encore plus sévèrement ces déclarations «aussi absurdes qu’aberrantes», qui mériteraient selon lui «condamnation et réprobation».
Les conséquences de ces saillies ?
Johnny Payet répondait mardi matin à la question d’un auditeur sur le fait que le RN, au Parlement européen, avait voté contre la loi qualifiant l’esclavage comme un crime contre l’humanité, en 2020. Auprès de Libération, l’élu en rajoute une couche : «Comment peut-on juger quelque chose qui s’est passé il y a trois cents ans ? C’était un mode de vie qu’on n’a pas vécu»… Le patron du RN précise cependant que sa commune organise bel et bien la fèt kaf les 20 décembre, et que cela ne le «gêne pas». Il assure n’avoir aucune crainte sur les conséquences de ces saillies : «Dans la continuité des européennes, les Réunionnais nous donneront la victoire.» Le RN est effectivement arrivé en tête aux dernières élections, avec 31,7 % des voix. Mais lors des législatives de 2022, le parti de Marine Le Pen n’avait remporté qu’un peu plus de 10 % des voix et la gauche avait raflé six des sept sièges de députés.
Commenter cet article