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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Mars 2024 : des éco-touristes observent le retour à la mer d'une tortue verte qui vient de pondre sur la plage de Saziley, à Mayotte. (LD)

Mars 2024 : des éco-touristes observent le retour à la mer d'une tortue verte qui vient de pondre sur la plage de Saziley, à Mayotte. (LD)

L’association des Naturalistes a remporté le loto de la biodiversité lancé par la Française des jeux pour préserver la forêt et les tortues de la presqu’île de Saziley, dans le sud de l’île. Bivouac au pied des baobabs.

Libération du 23 mars 2024
De notre envoyé spécial Laurent DECLOITRE

Il est donc possible de dénicher un havre de paix à Mayotte et de fuir la violence endémique du département d’outre-mer : direction la presqu’île inhabitée de Saziley, au sud de l’île. «Ici, j’arrive à décompresser», sourit Aïcha Boukir, directrice d’un centre qui prend en charge des personnes polyhandicapées, par ailleurs bénévole de l’association les Naturalistes de Mayotte. Libération l’a accompagnée pour un bivouac sur place avec d’autres écotouristes, des médecins du centre hospitalier. Parmi eux, Claire explique ne pas savoir si elle restera longtemps sur l’île. «J’ai peur de m’habituer à la violence, aux lacrymos sur mon balcon…» raconte suante, sous le soleil tropical, la psychologue qui habite Majicavo, un quartier chaud de l’île.

La marche de deux heures part du village de M’tsamoudou et alterne entre plage et forêt sèche. A mi-pente d’une colline, on débouche sur des monticules ronds, presque rouges, qui semblent jaillir d’entre les arbres. Superbe. Mais ces «padzas» sont le résultat du défrichage et du brûlis pratiqués par les habitants. Même s’il s’agit d’une zone naturelle sensible, protégée par le Conservatoire du littoral, ils viennent y planter bananes et manioc. «Il y a trop de monde à Mayotte aujourd’hui», soupire Michel Charpentier, président des Naturalistes, arrivé sur l’île il y a une vingtaine d’années. Le septuagénaire évoque la croissance démographique exponentielle du département de l’océan Indien : la population a doublé entre 1997 et 2017.

«Mission nature»

C’est pour lutter contre cette déforestation que l’association a répondu à un appel à projet lancé par la Française des jeux et l’Office français de la biodiversité. L’association a été sélectionnée pour «restaurer la fonctionnalité écologique» des lieux, en replantant 9 000 espèces indigènes et en arrachant les plantes exotiques envahissantes. Elle va percevoir près de 160 000 euros à cet effet, prélevés sur la vente d’un nouveau jeu de grattage nommé «Mission nature», calqué sur le loto du patrimoine cher à Stéphane Bern.

On arrive sur la plage de Saziley, où un vaste «faré», un kiosque en bois, a été érigé à l’ombre d’énormes baobabs. Ces derniers peuvent faire jusqu’à 20 mètres de circonférence et vivre 2 000 ans. Trop larges pour y attacher les hamacs. Un arrêté de biotope interdit aux humains de fréquenter la plage de sable gris la nuit, entre 18 heures et 6 heures, quand viennent pondre les tortues vertes et imbriquées. Selon les calculs des Naturalistes, chaque année, plus d’un millier de tortues épargnées par les braconniers grâce à la présence des bénévoles viennent y déposer entre 200 000 et 300 000 œufs plusieurs nuits par semaine et tous les week-ends.

Ailleurs sur l’île, les tortues sont souvent tuées pour leur chair, appréciée lors des mariages mahorais et comoriens : l’association du Réseau échouage mahorais de mammifères marins et tortues marines estime que 10 % des 4 000 à 6 000 tortues venant pondre sur l’île sont braconnées. «Leur préservation n’est pas encore entrée dans les mœurs des Mahorais», soupire Michel Charpentier, dont aucun membre du bureau de l’association n’est originaire de l’île.

Créatures marines

La nuit est tombée, la vice-présidente de l’association, Ruth Malonga, répartit les tours de veille, qui dureront toute la nuit. Les touristes sont autorisés à assister aux pontes et aux émergences (la naissance des bébés), accompagnés par les guides. Dans la nuit noire, pas facile de repérer les traces, qui ressemblent à celles que laisseraient les chenilles d’une tractopelle. Gare à ne pas effrayer les femelles : deux fois sur trois, elles renoncent à pondre et regagnent l’océan. Ce soir-là, l’une d’elles a creusé un trou en ahanant, à l’aide de ses nageoires. On observe en silence l’animal qui dépasse le mètre et avoisine les 130 kilos. Sur dix pontes de ce genre, d’environ 100 œufs chacune, seul un bébé tortue arrivera à l’âge adulte. Après deux heures, la femelle s’extirpe et regagne l’océan. A chaque progression, étincelle, comme autant de constellations, du plancton phosphorescent sous ses nageoires. Magique. Mais la nuit sera décevante : une seule ponte, contre douze la semaine précédente.

A l’aube, au tombant de la barrière de corail, des mâles attendent leurs partenaires pour s’accoupler à nouveau. Un calvaire de plusieurs heures pour les femelles qui risquent même de se noyer, ne pouvant pas toujours reprendre leur respiration… Les créatures marines remontent du fond à grande vitesse pour se stopper à quelques centimètres de notre masque. «J’ai flippé», rigole encore Margot, qui fait de l’équipe du centre hospitalier. Les femelles prennent ensuite la direction du large, jusqu’à leur aire de nourriture, sans doute vers Madagascar ou les Comores.

Photo Naturalistes de Mayotte.

Photo Naturalistes de Mayotte.

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