Le tribunal de commerce a donné trois mois au «Quotidien de la Réunion» pour trouver un repreneur et éviter la liquidation. Son concurrent, «le Journal de l’île», est également en très grande difficulté. Henri Nijdam, le patron du «Nouvel économiste», qui s’était porté acquéreur des deux titres, se dit aujourd’hui «très refroidi».
Libération du 14 décembre 2023
De notre correspondant Laurent DECLOITRE
En 1977, les journalistes du Quotidien de la Réunion, créé l’année précédente, avaient poursuivi la publication du titre malgré sa liquidation judiciaire, soutenus par des centaines d’intellectuels, d’artistes et de lecteurs. Le journal, positionné au centre gauche, avait finalement survécu. Cinquante ans plus tard, l’histoire bégaie. Mais samedi 2 décembre, quelques dizaines de Réunionnais seulement ont répondu à l’appel des journalistes au siège de la rédaction, à Saint-Denis. C’est que le titre, qui emploie une cinquantaine de personnes, ne vend plus que 12 000 exemplaires par jour, contre 35 000 dans les années 90. En octobre, Carole Chane Ki Chune, la présidente et fille du fondateur s’est déclarée en cessation de paiements, conduisant le tribunal de commerce à ouvrir une procédure de liquidation cession. Et mercredi 13 décembre, alors que des membres d’une intersyndicale étaient venus soutenir le titre, le tribunal de commerce a autorisé une poursuite d’activité de trois mois pour permettre de trouver un repreneur.
Offre jugée «irrecevable»
Un candidat s’était pourtant déclaré dès le 15 novembre : Henri Nijdam, le patron de l’hebdo le Nouvel économiste. Dans son plan de reprise, l’homme d’affaires proposait de racheter dans un même temps le Journal de l’île, le concurrent le Quotidien de la Réunion, également en grande difficulté. Objectif : réaliser des économies d’échelle entre les deux titres. Le Journal de l’île, classé à droite, a lui aussi perdu au fil des ans lecteurs et recettes publicitaires, ses ventes étant estimées entre 6 000 et 8 000 exemplaires par jour. Son patron, Jacques Tillier, ancien journaliste de l’hebdomadaire d’extrême droite Minute, a reconnu ne pas être certain de pouvoir payer les salaires de «décembre et le treizième mois».
Dans son offre, Henri Nijdam promettait de conserver les versions papier et Internet des deux titres, avec deux rédactions différentes, et de mutualiser l’impression et la distribution. Jacques Tillier a déjà dit «oui», précisant dans ses colonnes vouloir «discuter des conditions». En revanche, Carole Chane Ki Chune s’est dit «hallucinée» par la proposition de Nijdam. La présidente du Quotidien y voit «une marque d’irrespect pour l’actionnaire, les salariés, la marque le Quotidien mais aussi le territoire». En cause, le montant mis sur la table est jugé trop faible par les actionnaires. La question des indemnités à verser aux journalistes qui feraient jouer la clause de cession a également constitué un point d’achoppement. Tant et si bien que l’administrateur judiciaire a jugé l’offre «irrecevable» et ne l’a donc pas présentée au tribunal de commerce.
«Irrespect» et «vautour»
Une quinzaine de chefs d’entreprises réunionnais ont également manifesté leur intérêt, en étant prêt à investir chacun 100 000 €, sous l’égide d’un imprimeur, Alfred Chane Pane. Mais leur objectif n’est pas la reprise. Il s’agirait plutôt d’«attendre la cessation du Quotidien, pour ensuite réembaucher quelques journalistes», évoque l’un d’entre eux. D’ores et déjà, Alfred Chane Pane assure lancer un hebdomadaire dans les prochaines semaines, imprimé à 35 000 exemplaires, qui deviendrait quotidien si l’un des deux journaux locaux disparaissait. L’imprimeur évoque «un média qui apportera une plus-value», en s’appuyant sur une agence de presse, plutôt qu’une rédaction propre, et en utilisant l’outil d’intelligence artificielle ChatGPT… «Un vautour», s’inquiète un des journalistes du Quotidien.
Dans ces conditions, faute de repreneur, la liquidation du Quotidien aurait dû être prononcée par le tribunal ce 13 décembre. Huguette Bello, présidente Pour la Réunion (Nupes) du conseil régional, a sauvé la mise, en faisant voter le 1er décembre une aide exceptionnelle de la collectivité de 600 000 euros. De quoi permettre de payer les charges durant trois mois. Le Journal de l’île réclame évidemment la même aide que son concurrent… en vain. L’inverse eut été surprenant, Jacques Tillier, accusé de machisme par les femmes politiques de l’île, affirme à longueur d’éditos qu’Huguette Bello s’est rendue coupable d’embauches de complaisance. La région a précisé par ailleurs que le Journal de l’île a perçu ces dernières années de la collectivité 1,8 million de plus que son concurrent.
Le Quotidien doit désormais trouver un repreneur avant le 26 mars. Carole Chane Ki Chune s’est déclarée «optimiste», espérant soit que les acteurs économiques locaux se mobilisent enfin, «ayant compris que le Quotidien pouvait vraiment disparaître», soit qu’Henri Nijdam enrichisse son projet. Mais ce dernier se dit aujourd’hui «très refroidi par la complexité du dossier et les antagonismes locaux». Il précise : «Je ne maintiendrai mon offre que si elle bénéficie de l’adhésion de toutes les parties»… Il faudra peut-être attendre pour cela le dépôt de bilan du Journal de l’île, qui serait imminent.
Commenter cet article