Un accident, une rencontre, un déclic, un hasard, un coup de folie ou un coup du sort… Cet été, Libération revient sur les moments clés d’une histoire. Et là, tout bascule…
Libération du 18 juillet 2013
De notre correspondant Laurent DECLOITRE
Edmond a bien mal débuté dans la vie. Son père, Pamphile ? Un esclave, capturé au Mozambique ou à Madagascar, nul ne sait vraiment. Sa mère, Mélise ? Une esclave elle aussi, qui meurt en le mettant au monde, le 9 août 1829, à Sainte-Suzanne, dans le nord-est de l’île de la Réunion. Edmond est prédestiné à faire partie de «ces gens de peu, taillables et corvéables dans la poussière des jours», oubliés par l’histoire. Pourtant, lui, «dont les ancêtres furent torturés au fer rouge, entassés dans des zoos, parqués dans des camps, croupirent dans les cales, crevèrent dans les champs», va «modifier l’histoire de son pays et celle du monde entier d’un seul mouvement de ses mains». Le romancier et essayiste Michaël Ferrier, qui a mêlé, dans Sympathie pour le fantôme, son destin à celui de deux autres Français d’outre-mer oubliés (le marchand d’art Ambroise Vollard et la muse de Baudelaire Jeanne Duval) plante ainsi le décor. A l’époque, la société réunionnaise tire ses profits de la canne à sucre, qui a succédé aux plantations de café, en exploitant une main-d’œuvre gratuite : l’île, qui porte alors le nom d’île Bourbon, compte 71 000 esclaves sur une population totale d’environ 100 000 habitants. Lorsque le propriétaire d’Edmond meurt, sa fille, Elvire Bellier, ne sachant que faire de ce nourrisson «puant dans le sang de sa mère, qui vient de lui coûter une esclave» le donne à son frère, Pierre Ferréol Bellier-Beaumont, qui a une propriété dans le quartier voisin de Bellevue. Edmond vient tout juste d’être sevré grâce à une nourrice qui a enduit «ses tétons de gouttes de suc amer et jaune de mazambron», une plante de la famille des aloès, raconte Sophie Chérer, autrice pour la jeunesse qui a romancé la vie d’Edmond dans la Vraie Couleur de la vanille.
Le gamin grandit aux côtés de son nouveau maître. Un maître qui détonne dans le monde feutré des colons. Pierre Ferréol Bellier-Beaumont est célibataire et n’a qu’une obsession : la botanique, notamment les plantes rares et les orchidées. Il arpente les forêts réunionnaises, constitue des herbiers, enrichit son cabinet de curiosités… Il a beau posséder 48 autres esclaves, des «noirs de pioche», qui cultivent pour son compte la canne à sucre et les girofles, il s’entiche de ce gamin pas comme les autres. Dans un courrier, il décrit Edmond comme son «gâté, constamment avec moi». De quoi faire jaser… Il instruit Edmond, lui apprend le nom des plantes, la façon dont elles grandissent et se reproduisent. Ce qui fera dire à un de ses amis, qu’il le traite «plus comme son fils que comme son esclave».
Le fruit du hasard ?
Dans son jardin, Bellier-Beaumont compte de nombreuses orchidées. Et parmi elles, un plant de vanille : une liane aux feuilles épaisses et brillantes, donnant de jolies et fragiles fleurs blanches, qui éclosent et se fanent en l’espace d’une journée. La plante a été introduite à la Réunion au gré d’expéditions revenues de Guyane, d’Asie du Sud-Est ou du Mexique, entre 1819 et 1822. Mais peine perdue : les boutures s’adaptent au climat tropical mais ne fructifient pas. C’est que l’abeille et les autres insectes qui pollinisent la vanille dans son milieu naturel ne vivent pas à la Réunion. La liane n’est donc qu’une plante d’ornement et ne produit pas la précieuse gousse. Pourtant, un matin de 1841, lors de sa promenade rituelle dans son jardin, Bellier-Beaumont découvre avec stupeur que la liane de vanille qui grimpe le long du tronc de son manguier porte une gousse. Le botaniste n’en revient pas et il en fait part à Edmond.
Et là, tout bascule. Car... Lire la suite sur Libé.
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