Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin est ce week-end à Mayotte, pour faire le bilan de l’opération Wuambushu. Mais les deux objectifs, reloger les personnes vulnérables et réduire l’insécurité, peinent à être atteints.
Libération du 24 juin 2023
De notre envoyé spécial, Laurent Decloitre
Depuis deux nuits, Rehema, ses deux frères et sa mère dorment dehors, au milieu des bananiers et des plants de manioc, au cœur du bidonville de « La Carrière ». À quelques centaines de mètres, décollent les avions depuis l’unique aéroport de Mayotte, sur la commune de Dzaoudzi, en Petite-Terre. L’adolescente de 16 ans et sa famille vivaient dans une cahute sans eau courante ni électricité, qu’elles ont détruite jeudi pour en récupérer les tôles et les poutres, avant que les bulldozers loués par la préfecture ne s’en chargent, demain dimanche. Tant pis pour Gérald Darmanin, qui a prévu d’assister à cette démolition, en même temps qu’une vingtaine d’autres cases. Soit 111 personnes concernées dans ce quartier poussiéreux des Badamiers, des immigrés clandestins d’origine comorienne pour une partie, mais aussi des migrants en situation régulière et des Mahorais. Rehema et ses frères sont d’ailleurs français, puisque nés sur le département d’outre-mer, alors que leur mère est toujours sans papier depuis environ… trente ans. La séquence dominicale était sensée illustrer l’opération Wuambushu lancée en avril dernier par le ministre de l’Intérieur : raser un millier de ces masures, d’abord pour des raisons de salubrité.
Car l’État doit proposer aux « décasés », qui vivent effectivement dans des conditions effroyables, un relogement. Mais est-ce le cas ? Ces deux derniers mois, un collectif d’avocats a soutenu plusieurs familles qui refusent ces solutions, car inadaptées, provisoires, trop éloignées de l’école de leurs enfants, sans la possibilité d’emmener leurs quelques meubles… Illustration à Barakani, un autre bidonville, sur la commune de Koungou, détruit lundi dernier par les pelleteuses : deux tiers des familles étaient en situation régulière, a décompté la préfecture. Pour autant, s’est désolée Psylvia Dewas, responsable de la résorption de l’habitat illégal, « aucune n’a été relogée », après avoir refusé les propositions de l’État. « Ce n’est pas toujours facile de les convaincre, raconte une travailleuse sociale d’Acfav, l’association chargée des enquêtes sociales dans les favélas promises à la démolition. Dans leur tête, c’est leur terre, même s’ils n’ont pas de titre de propriété. Ils ont construit leur banga, y ont vécu et élevé leurs enfants…» Est-ce le cas de Nassur, qui nous montre une attestation de la mairie de Dzaoudzi comme quoi il aurait droit à se raccorder au réseau d’eau potable et d’électricité, dans le cadre d’une « régularisation foncière » ? Pourtant, « ils ont taggué “À démolir“ il y a deux mois sur mon mur », ne comprend pas le Comorien, père de trois enfants, titulaire depuis 2022 d’une carte de résident de dix ans.
Jeudi, au centre communal d’action sociale de Dzaoudzi, l’Acfav n’avait reçu que huit familles des Badamiers et seulement cinq avaient accepté le relogement. Parmi elles, le cœur lourd, Rehema. « Moi, je respecte l’État, mais ça va être vraiment compliqué », réagit la lycéenne, qui rêve de devenir gendarme. Son futur logement est situé à Tsoundzou, sur la Grande terre, à environ 1h30 de bus et de ferry du lycée actuel de la jeune femme, qu’elle ne veut pas quitter. Quant à sa mère, elle craint d’être considérée « comme une étrangère » dans le nouveau quartier… À Talus 2, en revanche, le plus important des bidonvilles de Koungou, démantelé le 22 mai, « la majorité des familles a accepté la proposition de relogement », se félicite Jocelyne Larue-Joachim, responsable du pôle Solidarité à Mlézi Maoré. L’association gère, pour le compte de l’État, un parc de 250 places en hébergement d’insertion et a accueilli plus de 80 de ces personnes devenues sans domicile fixe. « Ils découvrent le confort de vivre dans un logement en dur, avec carrelage au sol, des toilettes, l’eau, l’électricité, une cuisine… » Lire la suite sur Libération.
Commenter cet article