A Mayotte, Darmanin promet une opération Wuambushu «nouvelle formule»

Le ministre de l’Intérieur, en visite dans le département français, a annoncé maintenir les renforts des forces de l’ordre «au moins un mois» et tabler sur la destruction d’un millier de logements insalubres, alors que l’absence de solutions pérennes de relogement pose toujours question. 

Libération du 26 juin 2023
De notre envoyé spécial à Mayotte, Laurent Decloitre

« L’homme de la situation » ? C’est ce qu’on brandi sur des banderoles trois cents Mahoraises, samedi à Mamoudzou, pour souhaiter la bienvenue au ministre de l’Intérieur. Venu dresser le bilan de l’opération Wuambushu lancée en avril dernier, Gérald Darmanin est remercié par des chants pour la destruction des bidonvilles et son action contre l’immigration clandestine à Mayotte. « Il a montré qu’il est possible de ramener la paix et la sécurité en mettant des moyens », applaudit Estelle Youssouffa, député Liot. Le ministre, pas refroidi par la faible affluence (ils étaient 2000 à soutenir l’opération le 26 avril), transmet un message du président de la République, « un “Je t’aime“ de la France ». Dans la foule, certains se montrent sceptiques. « Rien n’a changé, réagit Marie Ousséni, élégante dans son salouva coloré. Avant-hier, mon proviseur s’est fait caillasser derrière le lycée ! » Pour autant, la surveillante de 31 ans tient à remercier Darmanin : « Même si Wuambushu a échoué, Monsieur Darmanin nous a écoutés. » Chapeau tricolore sur la tête, Daniel Viota estime lui-aussi que « les résultats ne sont pas là. Il renvoie les clandestins comoriens, mais ils reviennent le surlendemain ! »

Gérald Darmanin promet pourtant « un choc psychologique » et assure qu’en 2023, il y aura davantage de reconduites à la frontière qu’en 2022, année record avec 25 000 expulsions. Le ministre prévoit à cet effet de se rendre au Rwanda, au Burundi et en Tanzanie « pour négocier des accords de réadmission » des migrants africains, de plus en plus nombreux à débarquer à Mayotte. Selon lui, il y a depuis deux mois « trois fois moins de kwassas », ces barques motorisées qui transportent les boat-people depuis les Comores jusqu’à l’eldorado français. Gérald Darmanin retient par ailleurs « l’idée » d’un second centre de rétention administrative, où sont conduits les clandestins interpelés avant leur expulsion, sur Grande Terre. Une seconde prison, alors que la première connaît une surpopulation carcérale de 230%, devrait être construite, mais là encore, aucune indication sur les délais et le lieu, « faute de foncier disponible » sur l’île…
Plus sûrement, le ministre de l’Intérieur a annoncé maintenir les renforts des forces de l’ordre « au moins un mois » et entend proposer à Emmanuel Macron « une opération nouvelle formule ». Comprendre « moins d’ordre public » au sens strict et davantage d’enquêtes pour démanteler « l’écosystème de l’immigration clandestine ». Dans sa ligne de mire, l’agriculture et la pêche illégales, mais également le trafic de faux papiers. À ce sujet, Gérald Darmanin tance les Mahorais : « L’État français fait son travail, il faut que la société mahoraise fasse le sien ! À quand la fin des certificats d’hébergement et de paternité de complaisance ?  Il y a ici des profiteurs de l’immigration clandestine ! »

Attendu sur la question de la destruction des bidonvilles, ralentie par de nombreux recours déposés par les avocats des familles, il dénonce « ceux qui viennent faire du tourisme juridique »… « Qu’ils visitent les “bangas“, des endroits insalubres où les enfants n’ont pas d’eau courante, où, en cas de cyclone, on pleurerait sur les morts.» Hier matin, Darmanin a assisté à la démolition de cases en tôle dans le quartier d’Oupie-Badamiers, jonché d’ordures où rouillent des carcasses de voitures. « Depuis 2019, récapitule Psylvia Dewas, chargée de la résorption de l’habitat insalubre à la préfecture, 2600 cases ont été détruites » et 1250 nouvelles démolitions devraient survenir d’ici la fin de l’année.
Les habitants des bidonvilles en situation régulière doivent être relogés. Alors qu’un tiers seulement accepte les propositions de l’État, plusieurs dizaines de familles sont aujourd’hui hébergées au village de l’association Coallia, sur la commune de Tsoundzou, visité au pas de charge par Gérald Darmanin. Parmi les bénéficiaires, Saibina Samiante habitait le bidonville de Doujani, aujourd’hui rasé. « J’étais mieux chez moi, j’avais l’eau, l’électricité, je vivais tranquille, raconte la mère de famille, titulaire d’une carte de séjour de deux ans. Ici, on a une petite cuisine et une salle d’eau pour deux familles et sept enfants ! » Saibina doit quitter les lieu le 17 juillet, au bout des six mois réglementaires. « On m’avait promis de trouver un logement, or je ne sais pas ce que je vais devenir, je risque de dormir dehors ! » Même inquiétude chez Rehame Bouniamini, titulaire d’une carte de séjour d’un an, qui, en désespoir de cause, envisage de retourner aux Comores cet été. Raphaël Ficagna, le directeur de Coallia se veut rassurant, rappelant que les familles sans solution peuvent obtenir un délai de deux mois. Mais il reconnaît que « trouver un logement à Mayotte est très compliqué… »
Les membres du gouvernement ont aussi voulu montrer leur mobilisation sur le front de l’eau, qui préoccupe particulièrement les Mahorais : quatre fois par semaine, de 17h à 7h du matin, ils sont privés d’eau. En juillet, ce devrait être cinq fois ! La faute à une sécheresse exceptionnelle et à un service de production d’eau potable défaillant. Devant la retenue collinaire de Combani, à moitié vide, Jean-François Carenco, ministre délégué aux Outre-mer qui fait partie de la délégation, promet que « la République ne laissera pas ses enfants mourir de soif ». Des bouteilles d’eau vont être achetées à Maurice et La Réunion et distribuées gratuitement dans les écoles ; la capacité de production de l’usine de désalinisation va être augmentée de quelques centaines de mètres cubes et deux osmoseurs, minuscules unités de traitement, vont être installés sur l’île. Gérald Darmanin ajoute qu’une seconde usine de désalinisation sera construite « avant la fin 2024 » ; en attendant, « le prix des bouteilles d’eau sera bloqué à compter du 15 juillet. »
Voulant sortir de l’obsession sécuritaire, le ministre s’est également rendu au Jardin Maoré, un écolodge situé sur la plage de N’gouja, dans le Sud de l’île, pour rappeler que « Mayotte est la plus belle île de France » et faire revenir les touristes. L’Etat a accepté que le complexe construise ses bungalows sur le domaine public maritime et a accordé une défiscalisation de 1,5 million d’euros, sur un investissement total de 9,5 millions. Las, les tortues et les lémuriens devront patienter… En l’espace de deux ans, le taux d’occupation de l’hôtel est passé de 75 à 47% et l’établissement ne compte plus que « 1,5% de clients étrangers, contre 35% auparavant », soupire le directeur Karim Kardous. Il faut dire que des vacanciers se font fait attaquer à la sortie de l’hôtel, au moment de reprendre la voiture…