Exaspérés par des médias qu’ils jugent complaisants avec les immigrés clandestins, les Mahorais entretiennent avec ces derniers un rapport pour le moins ambigu, entre propos hostiles et aide à l’intégration
Libération du 28 avril 2023
De notre envoyé spécial, Laurent Decloitre
Les médias nationaux ne les comprendraient pas, figés dans de beaux principes humanistes. Sans tenir compte des difficultés de la vie quotidienne à Mayotte, les journalistes parisiens critiqueraient les habitants du département d’outre-mer favorables à l’opération «Wuambushu» et à l’expulsion des immigrés clandestins. Or si les Mahorais ont voté à 59% pour Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, ce ne serait pas en raison d’un quelconque racisme, mais à cause de l’insécurité galopante, liée à l’immigration irrégulière, comme l’a asséné un ancien préfet de Mayotte. Quel département métropolitain accepterait que sa population soit composée à 48% d’étrangers, dont au moins un tiers sans papiers ? Quel Français accepterait de vivre avec des services publics défaillants, calibrés pour répondre aux besoins d’une population sous-estimée en raison des clandestins non recensés ? Voilà le discours que les Mahorais et leurs élus tiennent aux envoyés spéciaux, venus couvrir l’opération sécuritaire lancée par Gérald Darmanin.
En face, minoritaires, les associations militant pour les droits de l’homme ou la défense des migrants, des syndicalistes de l’éducation nationale ou de la justice, ou encore des médecins exprimant leur inquiétude quant aux dérives que Wuambushu entraîne. Ce fossé entre une population vivant dans le département le plus pauvre de France et une classe sociale plus favorisée, souvent composée de «mzungus» (métropolitains) de passage, n’est pas sans alimenter la tension. «Ce sentiment de trahison, écrit à ce sujet l’universitaire Myriam Hachimi-Alaoui (1), est renforcé par celui d’une complaisance supposée des mzungus à l’égard des Comoriens, dont ils prendraient la défense idéologique sans les côtoyer quotidiennement.»
Le rassemblement, jeudi, d’environ 2 000 habitants à Chirongui, à l’appel de plusieurs collectifs de citoyens, illustre cette incompréhension. «On est seul contre le monde entier», jette Soufiane Moutouin, un des organisateurs de la manifestation, en treillis militaire, qui refuse de répondre aux journalistes. «Les reportages pleurnichent sur le sort des immigrés comoriens, mais la plus grande tristesse, c’est le sort des Mahorais», renchérit son camarade Fatihou Ibrahim, dont le crâne est traversé par une cicatrice, trace d’un coup de machette reçu lors d’un cambriolage à son domicile.
Tarim Youssouf, un habitant de Bandrélé, sur la côte sud-ouest de l’île, se défend pourtant de tout ostracisme, assurant garder sa porte «ouverte aux étrangers en situation régulière». Il est appuyé par Attoumani Kamania, élégamment enveloppée dans un salouva de couleur : «Les médias français véhiculent des choses fausses. On ne veut pas chasser tous les Comoriens !» Juste ceux en situation irrégulière, en fait… Ce qui a conduit dans le passé à sortir manu militari des classes les élèves ayant le tort d’avoir des parents sans papiers, ou encore à brûler leur misérable habitation. Pour se justifier, les Mahorais... (Lire la suite sur Libération)
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