Après plusieurs jours d’émeutes qui ont plongé Mayotte dans l’horreur, Libération a pu pénétrer dans un bidonville, où des enfants armés de machettes se livrent à une véritable guerre entre bandes.
Libération du 25 novembre 2022
De notre envoyé spécial, Laurent DECLOITRE
Photos David LEMOR
Aniboudine, Karim et Mouzamillou ont quinze ans. Ce jeudi midi, leurs cours au collège terminés, ils regagnent le bidonville de Bandrajou, au-dessus du quartier de Kawéni, la zone industrielle du chef-lieu Mamoudzou. Des élèves rieurs, polis avec les deux femmes en train de laver du linge à la fontaine publique. Ils espèrent aller au lycée, passer leur bac, travailler... Pourtant, la semaine dernière, le trio a acheté de l’essence à un garage informel où s’entassent des carcasses de voitures sous des arbres à pain. Ils ont ensuite rempli des bouteilles de bière avec le combustible, enfourné un chiffon dans le goulot, mis le feu et balancé leurs cocktails Molotov sur « les ennemis » de Majicavo. « On peut toucher les gars jusqu’à trente mètres », assurent-ils, fiers de leur performance, inconscients de la gravité de leurs actes. Il faut dire qu’ils fument un joint « avant la bataille »… Majicavo ? C’est le village honni par les jeunes de Bandrajou, à quelques kilomètres seulement sur la côte ouest de Mayotte, connu pour abriter l’unique prison de l’île. Les raisons de ces inimitiés sont dérisoires : filles regardées de trop près, jalousie entre rappeurs ou même vol de chiens ou de pigeons blancs !
Des broutilles. Elles sont pourtant à l’origine des scènes de guérilla qui ont meurtri ces derniers jours le département d’outre-mer. Le 12 novembre, un rappeur de Kawéni a été tué par des adolescents munis de « chombos » (machettes) alors qu’il rendait visite à sa copine à Mstapéré, un autre quartier de Mamoudzou. Les amis de la victime ont alors lancé une vendetta ; bus caillassés, feu aux voitures et commerces, batailles rangées contre les forces de l’ordre. Un jeune de Mstapéré a eu la main coupée par son agresseur monté dans le bus scolaire qui le transportait. Lorsqu’ils l’ont appris, ceux de Mtsapéré ont cherché à leur tour à venger leur camarade. Ils ont investi l’hôpital de l’île, pénétré dans les couloirs de la chirurgie orthopédique et fouillé les chambres. « Ils n’ont pas trouvé l’agresseur, lui-même blessé, qui s’est enfui, nous confie une infirmière. Par précaution, le jeune amputé a été renvoyé à son domicile où il reçoit les derniers soins ».
Le week-end dernier, les heurts se sont poursuivis dans les quartiers déshérités de Mamoudzou. Un automobiliste a été poignardé, son pronostic vital engagé. Plus de deux cents jeunes, armés, encagoulés, se sont affrontés, coupables « d’actes de terrorisme » selon le maire d’une ville sous le choc. Ibrahim, assis sur un parpaing devant une fragile case en tôle, avoue participer aux émeutes. « Je suis obligé de défendre mon village », tente de convaincre l’élève de dix-sept ans, qui prépare un bac général, option géopolitique. Alors l’autre jour… « Je me suis caché dans les buissons et quand les gars de Majicavo sont passés, je leur ai tendu une embuscade. » Mais, jure-t-il, il a frappé avec le plat de la lame, pas avec le tranchant.
Abdou, quinze ans, a eu moins de chance. Il a aujourd’hui encore le genou gauche bandé, après avoir reçu une pierre. « Ça n’arrêtait pas de saigner, j’ai eu très peur », avoue le gamin, croisé dans le dédale de passages pentus et couverts d’ordures du bidonville. Quelques tôles rouillées plus bas, Houssedine, dix-sept ans, raconte à son tour comment il a failli perdre son œil : « J’étais poursuivi alors je courais très vite et je n’ai pas vu des fils barbelés. Je me les suis pris dans le visage.» Conduit aux urgences, il s’en sort bien, il conservera la vue.
Comme la rappelle le sociologue Nicolas Roinsard, « il y a quelques années, leurs victimes étaient les mzungus [les blancs qui vivent à Mayotte], susceptibles d’avoir de l’argent. Cette logique politique a disparu, ils s’en prennent maintenant les uns aux autres. » L’enseignant-chercheur, qui a mené une enquête anthropologique... (lire la suite sur Libé)
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