Pour dénoncer le non-respect de l’environnement et des droits humains, le Quotidien de la Réunion et de l’océan Indien ne couvrira pas la prochaine Coupe du monde de football.
Libération du 13 septembre 2022
De notre correspondant, Laurent DECLOITRE
«Sans nous.» A la une, ce mardi 13 septembre, le Quotidien de la Réunion et de l’océan Indien informe ses lecteurs qu’il ne couvrira pas la Coupe du monde de football au Qatar. «A partir d’aujourd’hui, il n’y aura plus dans ces colonnes et sur notre site aucun article ni annonce publicitaire évoquant l’aspect sportif du Mondial 2022», prévient Flavien Rosso, le chef du service des sports. Les raisons de ce boycott, inédit pour un média ? «Cette coupe cristallise des atteintes intolérables à la dignité et aux libertés humaines, elle a piétiné les droits des travailleurs et des minorités et a balayé le respect de l’environnement», dénonce le quotidien régional.
«Revenir aux valeurs et aux fondamentaux»
Mais pourquoi cette soudaine prise de conscience, après avoir couvert les Jeux olympiques d’hiver de Pékin, en février dernier ? Les JO se déroulaient en Chine, où la minorité ouïghoure et les opposants politiques sont réprimés par le pouvoir… Vincent Vibert, le nouveau directeur du journal, évoque la volonté «d’éveiller les consciences» et «un besoin de revenir aux valeurs et aux fondamentaux du journal». Il était temps : l’image du Quotidien avait été écornée en 2019 et en 2020 par de multiples cas de censure de la part de la direction. Des articles portant sur des enseignes de la grande distribution ou sur l’ancien président du conseil régional avaient été caviardés, voire supprimés, au motif d’un «temps économiquement préoccupant». Bref, le journal redoutait de déplaire aux annonceurs publicitaires. Aujourd’hui, «ouvrir le débat a plus d’importance que de perdre quelques euros», assure Vincent Vibert. Ou de perdre «quelques lecteurs passionnés de foot»… Pourtant, le journal sort tout juste d’un redressement judiciaire, s’est séparé de 25 salariés (il reste moins de 40 journalistes) et doit respecter un sévère plan d’apurement des dettes. Carole Chane-Ki-Chune, la propriétaire du quotidien et directrice de la publication, confirme : «Nous nous battons tous les jours pour notre survie.» Le Quotidien vend 13 000 exemplaires par jour, contre 35 000 il y a vingt-cinq ans.
Pas à la presse de s’ériger en «directeur de conscience»
Pour Edouard Marchal, cette «préoccupation éthique», qu’il dit partager, ne sera pas facile à assumer. Le journaliste, délégué du SNJ, s’interroge : «Les futurs Jeux des îles [les JO de l’océan Indien] se déroulent à Madagascar, pays d’extrême pauvreté et de corruption. Va-t-on les boycotter au prétexte que le régime va construire des stades alors qu’il n’y a ni route ni électricité pour la population ?» Et de rappeler les JO de Berlin, sous le régime nazi, qui avaient vu l’athlète noir américain Jesse Owens triompher. Les journalistes auraient-ils dû taire l’événement ? Et si la France gagne le Mondial du Qatar, que des dizaines de milliers de Réunionnais fêtent la victoire dans la rue, «on fera comme si de rien n’était ?» Bref, pour le journaliste, ce n’est pas à un organe de presse de s’ériger en «directeur de conscience». Un débat qu’Yves Ethève, président de la ligue régionale de football, tranche à sa façon : «Le Quotidien fait de la com. Mais ce n’est pas l’Equipe… Tout le monde s’en fout et sera devant son écran de télé !»
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