Après un quinquennat marqué par le «non» de la Nouvelle-Calédonie à l’indépendance et des revendications sociales croissantes dans les Antilles, les propositions en direction des territoires ultra-marins visent moins les changements de statut que la nécessité de garantir la continuité territoriale.
Par Laurent Decloitre, correspondant à La Réunion et Lilian Alemagna
Libération du 7 mars 2022
A priori, plus de Caillou dans la chaussure du futur président de la République. Emmanuel Macron ayant organisé, entre 2018 et 2021, les trois consultations sur l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie prévues par l’accord de Nouméa – avec trois victoires du «non» –, l’archipel océanien restera français. Et le spectre d’une indépendance à gérer dans les prochaines années s’étant quelque peu éloigné, le sujet de l’outre-mer se résume surtout, dans cette présidentielle, à des questions de pouvoir d’achat pour les habitants de ces territoires éloignés de la métropole.
A gauche, on retrouve, de façon classique, des positions «autonomistes» chez les écologistes – souvent alliés aux régionalistes – mais aussi les communistes. Dans son programme, Yannick Jadot propose ainsi d’«adapter» encore un peu plus «les structures institutionnelles aux réalités des outre-mer» en unifiant les articles 73 et 74 de la Constitution et en «permettant la définition de statuts spécifiques pour ceux des territoires ultramarins qui le souhaiteraient». Le candidat écolo propose, en outre, la «reconnaissance des peuples autochtones en Guyane», «la restitution des 400 000 hectares de terres amérindiennes» là-bas et la création d’«un office foncier respectant la volonté des peuples amérindiens de Guyane et leur droit à l’autodétermination».
De son côté, Fabien Roussel promet d’«aller vers davantage d’autonomie» pour ces collectivités dont certaines jouissent déjà de statuts spécifiques. «Les populations et leurs collectivités élues pourront dans ce cadre nouer des relations de co-développement avec les pays de leur zone géographique, afin de répondre à leurs besoins sans remettre en cause les intérêts stratégiques de la France», précise le candidat PCF dans son programme des «Jours heureux». Jean-Luc Mélenchon veut, lui, mettre l’outre-mer aux «avant-postes de la planification écologique» et sanctuariser le «droit à l’eau» pour «en finir avec l’abandon» de ces territoires issus de la colonisation. Le statut de «collectivité unique», qui s’applique aujourd’hui à l’Alsace (qui reste membre néanmoins de la région Grand-Est), à la Corse mais aussi – déjà – à la Martinique et à la Guyane, serait réservé aux «territoires insulaires et des outre-mer».
Mais plus que la question politique – Valérie Pécresse promet certes un «nouveau statut» pour la Nouvelle-Calédonie –, c’est la question sociale dans l’outre-Mer qui préoccupe les différents candidats à la présidentielle. D’autant plus après une année 2021 marquée par d’importantes manifestations aux Antilles. «Les outre-mer sont maintenus dans un système de dépendance économique et de mal-développement, générateur de pauvreté et d’inégalités», peut-on lire dans le programme de Mélenchon. Lequel propose «un plan pluriannuel d’investissement et de développement des services publics (transports, éducation, santé, logement, culture)» avec, notamment, l’instauration d’un «principe de faveur de manière à garantir 50 % de recrutements locaux dans tous les corps de la fonction publique» et «un encadrement des prix sur les produits de première nécessité pour lutter contre la vie chère».
Blocage des prix : la Réunion en exemple ?
A la Réunion, 153 produits – dont le jambon supérieur découenné, les spirales insecticides ou le liquide javel parfumé – voient, par exemple, leur prix maximum fixé par arrêté préfectoral. Ces paniers, élaborés en concertation entre les grandes surfaces d’une part, des citoyens tirés au sort et membres d’un Observatoire des prix, des marges et des revenus d’autre part, sont proposés à tous les habitants des départements d’outre-mer. La loi de 2012 relative à «la régulation économique outre-mer» en a décidé ainsi en raison du surcoût de la vie dans ces territoires : + 10 % à la Réunion, + 17 % aux Antilles, si le consommateur achète les mêmes produits qu’en métropole. Le différentiel est en fait bien plus important, puisque l’écart de prix concerne surtout les produits alimentaires (entre 37 et 48 % plus chers, toujours selon l’Insee), or les dépenses pour se nourrir représentent en outre-mer jusqu’à un quart des revenus du foyer.
Dans un objectif d’autonomie alimentaire, Jadot propose de prolonger ce mécanisme en créant un «bouclier des prix» bien plus large. Pour autant, Sébastien Lecornu, ministre des Outre-mer – et rouage important de la campagne d’Emmanuel Macron – a jeté aux orties la proposition. «Pas de démagogie, je vois trop de gens qui disent qu’il faut tout bloquer, ce n’est pas comme ça que ça fonctionne !» a-t-il réagi lors d’une visite à la Réunion en février. Et de promettre, ça ne mange pas de pain, qu’une fois la crise du Covid derrière, «les thématiques de vie chère» redeviendront «la priorité numéro un du gouvernement d’Emmanuel Macron». Une façon surtout de se rattraper après avoir proposé, en novembre 2021, «davantage d’autonomie pour la Guadeloupe», alors que les Antillais réclamaient, parfois violemment, la fin du pass vaccinal et la baisse du coût de la vie.
Droite et extrême droite pour bloquer… l’immigration
Le contrôle des prix ne fait pas d’émules non plus chez les autres candidats. Au PS, Anne Hidalgo préfère renforcer l’action de l’Autorité de la concurrence, censée lutter contre les monopoles et les abus de position dominante, courants en outre-mer. Elle prévoit par ailleurs de réduire l’octroi de mer (une taxe sur les marchandises importées) «pour certains produits essentiels». Proposition similaire chez Marine Le Pen : la candidate du RN évoque une exonération totale de la taxe «pour les produits français ou en provenance de l’Union européenne». Les Républicains ? Rien de précis lorsqu’ils assurent vouloir «libérer les énergies de nos territoires de l’outre-mer». Valérie Pécresse, comme l’extrême droite, veut plutôt empêcher l’immigration, endémique à Mayotte, et durcir les conditions pour obtenir la nationalité française, comme c’est déjà le cas dans ce même département de l’océan Indien. Un blocage des droits, pas des prix.
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