La vague de Covid-19 qui frappe actuellement le département, où le taux d’incidence est le plus élevé de France, complique la prise en charge des patients atteints de diabète, une maladie chronique qui concerne un habitant de l’île sur dix.
Libération du 30 janvier 2022
De notre correspondant Laurent DECLOITRE
Photo Bastien Doudaine.
Muriel Cogne, cheffe du service d’endocrinologie et diabétologie au CHU de Saint-Pierre, est inquiète : son département a dû réduire son activité et libérer dix lits pour laisser la place aux malades du Covid-19. La veille, un médecin l’a appelée pour un patient avec un taux de glycémie de 5 grammes, très élevé – on est considéré comme diabétique au de-là de 1,2 gramme de sucre par litre de sang. «J’ai dû décaler son admission de quarante-huit heures, raconte Muriel Cogne. Le risque, c'est de voir arriver des gens trop tard, avec des infections sévères, qui peuvent conduire à l’amputation.»
C’est que le département d’outre-mer bat le record national du taux d’incidence : 5 480 cas de contamination par le virus pour 100 000 habitants. Le plan blanc a été activé, des renforts sanitaires demandés à la métropole, le couvre-feu maintenu à partir de 21 heures. Emmanuel Macron s’est entretenu par visioconférence avec les élus de l’île jeudi et a annoncé l'arrivée d’une mission militaire d’évaluation. Dans les hôpitaux, les lits de réanimation sont occupés à 91 %, proches de la saturation. «Les patients qui souffrent d’un diabète déséquilibré, un infarctus ou autre, nous n’avons plus de place pour vous admettre, tous les lits sont pleins», a prévenu Peter Von Theobald, président de la commission médicale d’établissement du CHU de Saint-Denis, mercredi, à Réunion 1ère.
Or La Réunion détient un triste record : le département est deux fois plus touché par les cas de diabète que la métropole et enregistre une augmentation annuelle des cas de 3 %. Quelque 80 000 Réunionnais en sont atteints, soit près de 10 % de la population (contre 5 % en métropole). Les personnes vivant avec le diabète sont considérées à risque face au Covid. Cette maladie chronique peut entraîner de graves complications si elle n’est pas dépistée à temps : AVC, atteintes cardiovasculaires ou neurologiques, destruction des reins et obligation de se faire dialyser trois fois par semaine dans l’attente d’une greffe… L’an dernier, 300 personnes ont été amputées d’un membre inférieur, mal irrigué et qui se nécrosait en raison de leur glycémie élevée. Cette particularité insulaire est due à la sédentarisation croissante des Réunionnais et à une alimentation trop sucrée et grasse, mais aussi à des facteurs génétiques.
Retards de prise en charge
Jacqueline, 68 ans, garde malgré tout le sourire. Ce jeudi matin, la jeune arrière-grand-mère participe à une séance d’éducation thérapeutique à la clinique des Tamarins, au Port, avec d’autres diabétiques. Ce qui lui pèse le plus ? «A cause du Covid, les visites sont interdites. Ma sœur vient prendre mon linge sale et m’apporte des affaires propres, mais elle doit rester sur le parking !» Son frère «aimait trop les gâteaux et est parti à cause du diabète»… La diététicienne Aurélie Hoarau, qui anime la séance, doit aussi composer avec le Covid : «On ne peut plus inviter des membres de la famille aux sessions collectives, c’est dommage, car la maladie doit être comprise par l’entourage du patient.»
Les conséquences, indirectes, des variants omicron et delta sont graves, selon Marie-Hélène Chopinet, chargée de mission à l’antenne réunionnaise de l’association française des diabétiques : «Nous n’assurons plus l’accompagnement de proximité des malades, les salles que nous prêtaient les mairies ont été transformées en centres de vaccination.» Les diabétiques risquent alors de se retrouver isolés, pas toujours aptes à gérer seuls leur taux de glycémie. A la clinique Oméga, gérée par l’Aurar, une association qui dialyse 50 % des insuffisants rénaux de la Réunion, le suivi des malades est là aussi perturbé. «On recevait auparavant 40 patients par jour, c’est moins de 30 actuellement, comptabilise Philippe Vial, le directeur d’exploitation. Les gens ont peur de sortir et d’être contaminés. Ces retards de prise en charge ne sont pas vitaux, mais le diabète est une maladie silencieuse et sournoise.» C’est seulement dans plusieurs mois que l’impact de cette crise pourra être mesuré.
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