Le chef-lieu de l’île inaugurera en janvier le premier téléphérique urbain de France. Ce mode de transport presque doux, bien accueilli par la population, s’inscrit dans une politique d’alternative au tout-auto.
Libération du 23 décembre 2021
De notre correspondant Laurent DECLOITRE
Les 46 cabines de Papang, du nom de l’unique rapace de La Réunion, devraient s’envoler avant Téléo, dont le lancement a été repoussé à l’an prochain à Toulouse. A la mi-janvier, Saint-Denis, 150 000 habitants, doit en effet inaugurer un téléphérique urbain de 2,7 km de long. «Le premier de France», assurent ses promoteurs, puisque le téléphérique de Brest ne traverse qu’une rivière et celui de Grenoble n’a qu’une portée touristique. Au-delà de cette course aux œufs suspendus, c’est un événement à La Réunion où, faute de neige, il n’y a pas de ski et donc aucune possibilité de monter dans de tels engins jusqu’ici. «Je vais l’essayer pour le côté attraction, pas comme moyen de transport», sourit Ingrid, en revenant des courses, alors que les derniers essais se déroulent trente mètres pile au-dessus de sa tête. «J’ai le vertige, j’ai peur qu’il tombe, lance Léa, une lycéenne qui attend le bus. Mais ça m’excite, je vais le prendre, c’est sûr !» Une camarade opine : «Ce sera peut-être mieux que le bus, souvent en retard ou archi plein.»
Le jour J, ce sera donc la fête : la Communauté intercommunale du Nord (Cinor) et Saint-Denis ont invité groupes de musique, conteurs, gens du cirque et grapheurs. «On attend beaucoup de monde, surtout des curieux», prévoit Sophie Bousdira, chargée de la médiation. Jean-François Grondin, 44 ans, est le premier Réunionnais à être monté dans une des cabines. Le chanceux travaille pour une des entreprises du chantier. «C’est la première fois de ma vie que je prends les airs ! Je croyais que ça bougerait mais en fait, c’est très agréable. Je vais emmener Madame et les enfants !» Sébastien Marchal, dans le même cas, n’en revient toujours pas : «Epoustouflant ! Génial ! Les touristes et les Réunionnais vont se régaler.» De fait, le parcours offre un panorama à 360 degrés sur l’océan Indien et les montagnes. Et malgré un vent à 40 km/h ce matin-là, la cabine ne ballotte pas. En revanche, le souffle qui s’engouffre dans les aérations produit un sifflement qui en impressionnera plus d’un.
«Mettre fin aux engorgements»
La télécabine, qui a coûté 53 millions d’euros, n’a pas suscité d’opposition franche, à l’exception du président de l’université. Le câble au-dessus du campus empêchant d’éventuelles constructions en hauteur, Frédéric Miranville a négocié une compensation foncière. Un lycée a également obtenu l’opacification de quelques vitres, et un institut pour sourds et aveugles, une pergola… Sur le reste de la ligne, Papang survole une zone urbaine dense, mais sans logements de particuliers, hormis un groupe d’immeubles. Là, un énorme bloc de béton, planté dans le parking, soutient l’un des 26 pylônes. «C’est horrible, cela défigure le paysage !» se désole une locataire. Roufouanti, qui habite au rez-de-chaussée, n’est, elle, «pas gênée». «Il ne fait pas de bruit et va s’avérer très pratique», estime la mère de famille. «Il s’adapte bien à la topologie de Saint-Denis et peut mettre fin aux engorgements !» renchérit Julien.
C’est l’un des buts de la structure. Depuis l’ouest ou l’est de l’île, plus de 80 000 véhicules entrent chaque jour dans le chef-lieu du département d’outre-mer, embouteillé par 380 000 déplacements quotidiens. Lors du lancement de son plan Vélo, la maire socialiste, Ericka Bareigts, qui s’est emparée du dossier des mobilités alternatives, a rappelé : «Les voiries de la ville ne sont plus en capacité d’écouler les flux de véhicules qui font l’objet d’une croissance exponentielle.» Les habitants des hauteurs de cette ville montagneuse se heurtent aux bouchons du littoral, qu’ils empruntent le réseau urbain des bus ou leur voiture. La nouvelle télécabine, qui part des «hauts», à Bois-de-Nèfles, 300 m d’altitude, pour rejoindre le quartier populaire du Chaudron, dans les «bas», devrait les soulager. Les œufs, d’une capacité de 10 places, se succèdent toutes les trente secondes et peuvent transporter 6 000 personnes par jour. Le prix ? Entre 70 centimes et 1 euro selon le mode d’achat du ticket.
Seulement 40 vélos de location
Un autre téléphérique est prévu entre le quartier bien nommé de la Montagne et l’ouest du chef-lieu. Il doit être livré en 2025. «L’objectif est de diminuer la circulation des voitures de 10% à 20%», espère Ericka Bareigts. Daniel David, codirecteur de l’Agence pour l’observation de l’aménagement et l’habitat de La Réunion, applaudit la mesure. Mais il prévient : «Les mobilités douces dans une île chaude et montagneuse ne sont pas évidentes à mettre en place. Il faudra bien articuler les différentes intermodalités de transports.» Pas gagné si la région Réunion et la Cinor ne se mettent pas d’accord, chacune portant un projet concurrent de tram-train dans le chef-lieu…
En attendant, des parkings ont été aménagés sur les stations hautes du téléphérique, pour que les passagers y laissent leurs véhicules. A l’arrivée au Chaudron, ils peuvent prendre un bus en site «propre» ou utiliser un vélo électrique. Saint-Denis propose en effet depuis un mois un système de location de vélos à assistance, à l’image du Vélib parisien. Clémence a essayé. «J’ai été surprise par le rythme des pédales, j’ai préféré dévaler les pentes avec mes pieds comme un pingouin», rigole l’étudiante, prête à en refaire. Mais à ce jour, la commune ne compte que 35 km de pistes cyclables, sur 422 km de voirie. Et 40 vélos seulement sont disponibles… Insuffisant, selon les militants d’Extinction Rébellion qui ont organisé des «vélorutions» et délimité dans les rues des pistes cyclables sauvages. En selle, la maire a promis de doubler la longueur du réseau d’ici la fin de sa mandature.
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