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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Un Boeing 787-8 d'Air Austral à l'aéroport Roland-Garros, à Sainte Marie. (R.Bouhet /AFP)

Un Boeing 787-8 d'Air Austral à l'aéroport Roland-Garros, à Sainte Marie. (R.Bouhet /AFP)

Sous perfusion publique, la compagnie aérienne, qui assure la liaison Réunion-Paris, est toujours en plein marasme financier. Le gouvernement plaide pour un rapprochement avec Corsair, mais les élus de la Réunion s’y opposent.

De notre correspondant Laurent DECLOITRE
Libération du 14 décembre 2021

Marre de combler le tonneau des Danaïdes ! Le conseil régional de la Réunion, tout comme l’Etat, se font aujourd’hui tirer l’oreille pour sauver la compagnie aérienne Air Austral, dont les pertes récurrentes nécessitent des aides sans fin. Et pas seulement depuis la crise du Covid. Dès l’origine, en 1990, la compagnie dépend du soutien public : pour développer le trafic régional avec les pays de l’océan Indien, la région Réunion crée une société d’économie mixte, la Sematra, actionnaire majoritaire d’Air Austral. A la tête de la compagnie, un patron charismatique et paternaliste, Gérard Ethève, ami du président de la région de l’époque, Pierre Lagourgue (divers droite).

En 2003, le communiste Paul Vergès, alors aux manettes de la collectivité, accorde un rab de deux millions d’euros, au nom du désenclavement : c’est qu’Air Austral a décidé d’assurer la liaison Réunion-Paris. En 2012, la région est repassée à droite : Didier Robert, le président, pousse au départ Gérard Ethève, 81 ans, accusé de harcèlement moral. Il le remplace par Marie-Joseph Malé, un polytechnicien né au Cameroun d’une famille indienne, mais qui a grandi à Madagascar. La compagnie est au bord de la faillite. La Sematra injecte 46 millions d’euros et va détenir 99 % d’Air Austral. Grâce à un nouvel apport de 38 millions en 2016, Air Austral semble enfin voler de ses propres ailes. La compagnie bleue et blanche dessert plus d’une douzaine de destinations, accapare 48 % du trafic de l’aéroport de la Réunion et emploie plus de 900 salariés.

Mais le Covid passe par là. En 2020, Air Austral négocie un plan de sauvetage, avec réduction des salaires et suppression de congés, et obtient 90 millions des banques, dont 80 garantis par l’Etat. S’ajoutent un prêt de 30 millions de la Sematra, puis, début 2021, de 25 millions de la région. Huguette Bello, la nouvelle présidente (La France insoumise) de la collectivité, fait les comptes : depuis 2012, la région a versé 119,5 millions et «a pleinement assumé son rôle d’actionnaire». Sous-entendu : à l’Etat de prendre le relais.

Bercy pousse à la fusion avec Corsair

Car cela ne suffit toujours pas. Les pertes de l’exercice 2020-2021 s’élèveraient à 76 millions, et la dette totale atteindrait 220 millions selon un syndicat d’Air Austral ! En mars dernier, Marie-Joseph Malé réclame alors 60 millions. Mise au pied du mur, la Sematra consent à prêter 25 millions, mais, juré craché, c’est la dernière fois. «C’est l’argent des citoyens ; remettre à chaque fois au pot, comme le faisait Didier Robert, c’est de la gabegie», justifie Normane Omarjee, vice-président socialiste, délégué au désenclavement aérien au conseil régional. L’Etat est donc sollicité pour les 30 autres millions : au ministère de l’Economie, Bruno Le Maire promet de suivre… à la condition, selon le conseil régional, qu’Air Austral se rapproche de Corsair, également en difficulté. Selon un audit du cabinet PricewaterhourseCoopers, une fusion permettrait d’économiser jusqu’à 70 millions d’euros par an.

Qu’à cela ne tienne, en août dernier, les deux compagnies domiennes annoncent leur volonté de s’unir dans le cadre d’une joint-venture. Elles promettent une nouvelle offre «au bénéfice des clients», tout en préservant «l’identité et l’indépendance des deux compagnies». Mais Corsair vient d’être rachetée par un pool d’actionnaires… antillais. «Il est hors de question que le centre de décision d’Air Austral ne soit pas à la Réunion», réagissent les élus de Saint-Denis.

En outre, parmi les nouveaux administrateurs de Corsair, on retrouve un certain Dominique Perben, ancien ministre de la Justice, puis des Transports, ou encore de l’Outre-mer, un proche d’Emmanuel Macron. «La macronie vit au rythme des fusions-acquisitions, dénonce Normane Omarjee. Les golden-boys du comité interministériel de restructuration industrielle veulent qu’on fusionne avec Corsair et nous disent qu’on verra après pour la “new money” dont Air Austral a besoin.» Pas dupes, les conseillers régionaux, et onze parlementaires de l’île demandent à l’Etat de soutenir leur compagnie «comme il l’a fait pour Air France ou Corsair» et plaident pour que les «options alternatives à la fusion» soient étudiées. Comprendre oublier Corsair. Face à cette levée de boucliers, le gouvernement semble baisser pavillon. Le ministre délégué aux Comptes publics, Olivier Dussopt, n’évoque plus qu’une «option parmi d’autres». Quant à Corsair, la direction répond à Libération qu’à ce stade des négociations, elle ne souhaite pas «prendre la parole». Tout comme Air Austral…

Trésorerie à sec

Mais le temps presse. Marie-Joseph Malé, dont les jours seraient comptés une fois la crise résolue, a confié au journal l’Eco austral, qu’il avait «de la trésorerie pour tenir trois mois» seulement. C’était début novembre… Il faut donc trouver très vite de nouveaux actionnaires. Pourquoi pas French Bee, la compagnie low-cost qui relie Paris à la Réunion ? Marc Rochet, le PDG, n’y serait pas hostile : «Il y aurait plus de sens à associer nos deux compagnies, complémentaires, que deux concurrents, plaide-t-il. Mais nous n’avons pas été approchés par Air Austral, dont le management ne nous est pas favorable.»

Faute de quoi, François Caillé, patron d’un groupe local présent dans l’automobile et la grande distribution, a été missionné par la région pour constituer un tour de table. Dans l’idéal, une quinzaine d’opérateurs apporteraient chacun deux millions d’argent frais. A une condition, toutefois : l’Etat devrait restructurer au préalable la dette d’Air Austral, c’est-à-dire en effacer une grande partie… A quelques mois de la présidentielle, le futur candidat Emmanuel Macron a là une belle occasion de gagner des voix à la Réunion, où il n’a jamais fait florès. Mais à quel prix : Air Austral, créée au nom de la continuité territoriale, est souvent la plus chère des compagnies desservant la métropole. Nous avons testé : pour un départ le 21 décembre et un retour le 5 janvier, avec repas et bagage en soute, les Réunionnais paieront 1 021 euros chez French Bee, 1 063 euros chez Air France, 1 080 euros chez Corsair… et 1 351euros chez Air Austral.

 

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