Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Patate de corail mou découverte à marée basse dans lagon de St-Leu. (G Barathieu/Biosphoto)

Patate de corail mou découverte à marée basse dans lagon de St-Leu. (G Barathieu/Biosphoto)

L’association Reef Check mobilise les habitants pour surveiller et préserver le corail du lagon.

De notre correspondant Laurent Decloitre
Libération du 15 août 2021

Pas évident d’éviter les fragiles acropores, hérissés comme des bouquets d’artifice, en nageant dans 50 cm de profondeur ! Ce dimanche matin, c’est marée basse dans le lagon de Saint-Leu, sur la côte ouest de la Réunion. Equipé de palmes, masque et tuba, un groupe d’amateurs observe les coraux, encadrés par l’équipe de l’association Reef Check. Deux décamètres ont été déroulés sur le sol sous-marin, sur une longueur de 100 m et une bande de 20 m de large. On sillonne la zone en remplissant une fiche plastifiée. Les poissons ? Il faut les nommer et les compter, explique Audrey, animatrice et, par ailleurs, cofondatrice d’une start-up sur l’empreinte carbone dans les publicités. «Le mérou gâteau de cire et les poissons papillons sont garants de la bonne santé du lagon.» Nous en croisons, écrus tachés de points marron pour les premiers, jaunes et blancs, avec un point noir à l’arrière du corps pour les seconds. Superbes. Nous tombons également sur un banc de centaines de chirurgiens bagnards, dont la couleur des écailles rappelle l’uniforme des Dalton. On se croirait dans un aquarium. L’eau n’est qu’à 23°C en cet hiver austral, le lycra est le bienvenu.

La fiche consacrée aux invertébrés sera moins remplie : quelques éponges et leurs tubes violets ; des concombres de mer si nombreux que Reef Check ne les recense plus. Reste à relever, tous les 50 cm, la nature et l’état des «substrats». «SD» pour le sable, «RC» pour les rochers ou les coraux morts, «HC» pour les coraux durs… Ici un corail cerveau, dont la forme rappelle son nom ; là un acropore tabulaire, table ronde dressée sur un pied central ; plus loin, des pocillopores, d’un mauve éclatant, ou des porites, boules ventrues jaunes qui apportent un peu de rondeur dans cette forêt sous-marine entremêlée. Et beaucoup de débris de coraux, pas mal d’algues duveteuses recouvrant les exosquelettes des polypes. «Ce n’est pas la cata absolue, mais c’est préoccupant, abonde Jean-Pascal Quod, président de Reef Check France en retirant sa combinaison. Selon nos relevés, seuls 25% du lagon et de la pente récifale sont recouverts par des coraux vivants, contre 40% en 2004.»

L’association, créée en 1996 en Californie, est aujourd’hui active dans plus de 40 pays et regroupe des milliers de bénévoles, dont une petite centaine à la Réunion. L’objectif est d’éduquer ses membres à l’écologie des écosystèmes marins et de les former à la collecte de données sur le terrain. Principales préoccupations : surveiller l’état des coraux, qui abritent en temps normal des milliers de poissons juvéniles, d’invertébrés, de mollusques… Ils participent en outre au maintien des plages et sont source d’émerveillement pour les nageurs. Or ils sont menacés par les activités humaines et les caprices de la nature tropicale. Si la température de l’océan augmente, si des coulées de boue ou des engrais agricoles contaminent le lagon, si les cyclones sont trop violents, les coraux blanchissent. La pointe rose de leurs branches beiges peut alors être la proie des algues, qui les asphyxient.

A la Réunion, le lagon forme une piscine translucide de 25 km de long et de 12 km² environ, et abrite entre 150 et 200 espèces de coraux, un des dix hotspots mondiaux de la biodiversité. Cette frange étroite, moins de 500 m entre la plage et la barrière de corail, est particulièrement fragile du fait de sa faible profondeur, entre un et deux mètres. Depuis 2002, le stock global de poissons a chuté de 80% sur la zone récifale.

Paru en juin dernier, le dernier état des lieux de l’Ifrecor, un réseau gouvernemental et associatif de dix comités d’outre-mer, montre une situation plus contrastée. Les coraux sont «plutôt préservés» dans les territoires à faible démographie, dans le Pacifique et sur les îles Eparses, minuscules îlots de l’océan Indien. En revanche, ils sont «plutôt dégradés» aux Antilles, à Mayotte et à la Réunion : dans 62% des stations étudiées, les récifs sont en mauvaise santé.

Aussi sont-ils surveillés comme le lait sur la soupe, par les sentinelles de la mer que sont les bénévoles de Reef Check. Cela étant, les relevés ce jour-là de Karine, pharmacienne de retour d’un remplacement à Mayotte, ou de Juliette, en première année à Sciences-Po Paris, n’ont rien de scientifique. «Ça fait quand même plaisir d’apprendre tout en servant à quelque chose», commente Camille, étudiant en master de biologie à Perpignan. Pour les données plus précises, il faut attendre le retour de l’eau des deux «éco-divers» de Reef Check, qui ont, eux, suivi un stage de formation. Caroline, guide naturaliste, et Armand, ingénieur en hydraulique, confirment le mauvais état du récif. Face à cette situation, le couple a lancé une association pour faire du bouturage de corail.

Reef Check Réunion surveille une trentaine de stations tout autour de l’île. Mais «les scientifiques ne trouvent pas nos données assez robustes pour les exploiter», se désole Jean-Pascal Quod, qui est lui spécialiste des toxines marines. Il dénonce «le blocage psychologique» des chercheurs, qui lui tiendraient ce discours : «Si tu ne connais pas le nom latin du corail, tu ne peux pas jouer avec nous !» Marine Dedeken, responsable scientifique de la réserve naturelle marine de la Réunion, relativise. Certes, les données «expert» recueillies sur les quatorze stations de la réserve ne peuvent être comparées à celles de Reef Check, en raison de «méthodologies et d’un niveau d’analyse inégaux» pour ces dernières. Mais cela n’empêche pas des partenariats entre l’institution et l’association, comme sur les aires marines éducatives. Ces périmètres restreints, mis en place par l’office français de la biodiversité, permettent à des élèves de s’approprier une petite portion du lagon. «C’est très bien, soupire Jean-Pascal Quod. Mais on va en tirer la conclusion que Reef Check, c’est juste bon pour les CM2

Commenter cet article

Hébergé par Overblog