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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus dans Libération
Jérémy Bouyer lâche le drone qui transporte les moustiques mâles traités.

Jérémy Bouyer lâche le drone qui transporte les moustiques mâles traités.

Des Aedes, qui transmettent notamment les maladies de la dengue et du chikungunya, sont largués dans le ciel du département d’outre-mer. Il s’agit de mâles, qui ne piquent pas, stérilisés et traités à l’insecticide… Objectif : éradiquer les femelles.

Libération du 15 juin 2021
De notre correspondant Laurent Decloitre
Photos : Pierre Marchal

Incroyable périple. Des bébés moustiques, expédiés depuis La Réunion jusqu’à Vienne, en Autriche, y sont élevés, puis irradiés par l’Agence internationale de l’énergie atomique. Devenus stériles, les insectes, uniquement des mâles qui ne piquent pas, sont renvoyés dans leur île d’origine, endormis dans des colis express maintenus à 10 degrés. Réveillés à Saint-Pierre, dans un laboratoire sécurisé du Cirad, un organisme de recherche agronomique, nourris à l’eau sucrée, ils sont alors roulés dans des tubes de poudre d’insecticide, n’ayant d’effet que sur les larves. Les Aedes aegypti sont à nouveau endormis, placés dans un drone puis largués par paquets de 10 000, à 50 m d’altitude au-dessus de Vincendo, un quartier rural de Saint-Joseph, dans le sud de La Réunion.

L’objectif de ces lâchers  est de réduire la population des femelles qui piquent les humains et leur transmettent des maladies. En 2005-2006, 40% des Réunionnais avaient été victimes de la terrible épidémie de chikungunya ; aujourd’hui, c’est la dengue qui fait des ravages. Entre 1500 et 2000 nouveaux cas sont comptabilisés chaque semaine, dont 21% de formes graves nécessitant une hospitalisation. La maladie a causé la mort de 12 personnes depuis le 1er janvier. Certes, le responsable est surtout Aedes albopictus, le fameux moustique tigre ; mais son cousin, Aedes aegypti, qui vit plutôt en pleine nature, est susceptible de migrer vers les zones habitées. C’est pourquoi le Cirad expérimente sa technique à Vincendo, où vit une toute petite colonie population d’aegypti estimée à 20 000 individus.

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Le drone va lacher 50 000 moustiques au-dessus de la ravine de Vincendo.

Ce vendredi matin de juin, Jérémy Bouyer, entomologiste médical et pilote de ce projet, place 10 000 mâles traités, reçus la veille par colis Fedex, dans une petite boite en polystyrène fixée sous le drone. L’appareil décolle au-dessus d’un champ de patates douces et de bananiers et longe le lit, à sec, d’un torrent. Durant deux minutes trente, les moustiques sont lâchés à intervalles réguliers. Les mâles se réveillent en vol et vont s’accoupler avec des femelles, qui ne pondront alors, durant les 30 jours de leur courte vie, que des œufs non viables. Mieux encore, les mâles vont transmettre par contact le biocide dont ils sont enduits aux femelles, qui vont à leur tour contaminer les gîtes larvaires. Le produit utilisé par le Cirad est le pyriproxyfène, un régulateur de croissance inhibant le passage à l’âge adulte des larves. « Il est autorisé dans l’eau de boisson pour les humains et ne pose aucun problème aux oiseaux », assure Jérémy Bouyer, Le scientifique rappelle même que cet insecticide, qui ne touche que les lieux de vie des moustiques, est « mille fois plus ciblé et moins dangereux que la deltamétrhine », ce produit largement pulvérisé par l’Agence régionale de santé dans les jardins et zones où des cas de dengue ont été décelés.

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Claude Sautron, 86 ans, fait confiance aux scientifiques du Cirad.

Claude Sautron, 86 ans sous sa casquette, bien sanglé dans ses bretelles, observe les scientifiques avec bonhomie. « J’ai confiance, ils connaissent leur métier, moi je suis un pauvre petit agriculteur », sourit le propriétaire de 15 hectares de plantations. Comme les autres riverains du quartier, il a reçu la visite de médiateurs de la commune de Saint-Joseph, qui ont cherché à apaiser les craintes. Non, les bestioles stérilisées et traitées ne sont pas des organismes transgéniques, non, elles ne sont pas davantage radioactives. Pour autant, quelles peuvent être les conséquences de cette introduction sur l’écosystème local ?
Des ruches « sentinelles » ont été installées, pour vérifier si les abeilles ne seront pas impactées d’une façon ou une autre. Un bureau d’étude se penche également sur les chironomes, des  insectes ressemblant aux moustiques, mais ne piquant pas, dont sont friands les oiseaux. « Pour l’instant, nous ne relevons aucun impact », se félicite Jérémy Bouyer. À ce jour, quatre lâchers expérimentaux ont eu lieu, de 2500 à 10 000 moustiques, sur les six prévus ; mais à compter de juillet, ce seront 50 000 aegyti qui tomberont des airs, chaque semaine pendant deux mois. Le Cirad escompte alors éradiquer, sur la zone de Vincendo, l’Aedes aegypti.

Il faudra ensuite s’attaquer à la bête noire, et blanche, des Réunionnais : l’Aedes albopictus, le vecteur principal de virus. C’est déjà le cas en Espagne, où Jérémy Bouyer supervise une même expérimentation contre le moustique tigre. A La Réunion, l’IRD (Institut de recherche pour le développement) a lui-aussi procédé à des lâchers d’albopictus, stérilisés à l’Établissement français du sang de Saint-Denis, mais non traités en biocide. Trois largages expérimentaux ont eu lieu dans le quartier de Duparc, au nord de l’île, sur une surface de 24 hectares. « Nos mâles ont bien résisté, survivant une à deux semaines et se déplaçant sur 50 à 70 mètres », analyse Louis-Clément Gouagna, l’entomologiste responsable du projet, ce qui est suffisant pour s’accoupler avec les femelles. A partir de juillet, 15 000 insectes seront lâchés chaque semaine pendant dix à douze mois.

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Les moustiques mâles sont endormis avant d'être relâchés.

Si l’agence régionale de santé et le conseil départemental de l’environnement et des risques sanitaires et technologiques valident les deux techniques, elles pourront être déployées de front. L’IRD vient de se doter d’une petite usine de production, à Saint-Denis, où les femelles, élevées pour donner naissance à des mâles -les seuls relâchés- sont nourries au sang de bœuf. Mais les centaines de milliers d’individus ainsi produits ne suffiront pas : pour couvrir en un seul tenant les 2512 km2 de La Réunion, il faudrait disposer d’1,5 milliard d’Aedes par semaine ! Faudra-t-il les importer de Chine, où la plus grosse usine au monde peut livrer 5 millions d’insectes par semaine ? Jérémy Bouyer a une autre idée en tête : le scientifique rêve d’injecter un « denso-virus » dans le corps des Aedes, qui se répandrait dans l’ensemble des colonies de moustiques. « Ce serait l’arme fatale, jubile le savant, on pourrait vraiment éradiquer ces rats volants introduits par l’homme. » Mais quid de la biodiversité ? « Les Aedes sont une espèce invasive, qui a un effet négatif sur l’écosytème où ils colonisent, rétorque Jérémy Bouyer. Réduire leur population permettrait au contraire de revenir à l’équilibre naturel originel ».

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L'insectarium de l'IRD est installé au Cyroi de La Réunion.


 

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