Chaque année en avril, ces oiseaux marins endémiques de l’île échouent à terre, trompés par les éclairages urbains. Pour éviter qu’ils ne meurent de faim ou dévorés par des chats ou chiens, les Réunionnais se mobilisent pour les sauver.
Laurent DECLOITRE, Libération du 11 avril 2021
Photos : Romain Philippon
Papaye, truffe frémissante, décèle sans coup férir l’odeur âcre des Pétrels de Barau. La chienne de Sylvain a été dressée «dès trois mois» pour sauver cet oiseau marin endémique de la Réunion, classé en danger d’extinction par l’Union internationale pour la conservation de la nature. «Une nuit, nous avons récupéré 240 pétrels échoués au sol», se souvient Sylvain, retraité et bénévole de l’association Seor (Société d’études ornithologiques de la Réunion). Une fois à terre, les volatiles noir et blanc sont incapables de décoller, à la merci des chats et voitures. Ces juvéniles de trois mois s’envolent en avril des massifs du piton des Neiges et du Grand Bénare, les sommets de l’île, entre 2 800 et 3 000 mètres d’altitude. Ils visent l’océan, où ils doivent passer environ cinq ans, dormant sur les flots. Ils ne reviennent sur la terre ferme qu’une fois leur maturité sexuelle atteinte. Mais le département d’outre-mer, fort de ses 850 000 habitants, est un caillou brillant de mille feux. Les lumières des lampadaires, des stades, des centres commerciaux, des publicités les attirent, se confondant avec le reflet de la lune et des étoiles sur la mer. Des centaines de ces taille-vent – le nom créole – qui n’existent nulle part ailleurs au monde, mourraient sans l’intervention de la Seor.
Nuits sans lumière
Mardi, Sylvain et Papaye, qui patrouillent tous les soirs d’avril, en ont retrouvé un à Cilaos, un cirque géologique cerné de montagnes, un des couloirs migratoires par lequel transitent les pétrels. Chaque oiseau est mesuré, pesé, bagué et si son état de santé le permet, relâché dès le lendemain. A cet effet, il faut le transporter, dans un carton percé de trous, sur le littoral. C’est ce qu’a fait Serge, un autre bénévole, mercredi matin, à l’embouchure de la Grande Ravine, sur la côte ouest. Grimpé sur un promontoire au-dessus de l’océan, le «vieux briscard des animaux» a tendu les paumes au ciel, laissant le fouquet s’envoler librement.
La Seor compte également sur les Réunionnais pour ramasser les pétrels échoués et les conduire dans un des nombreux points relais du département : gendarmeries, commissariats, cliniques vétérinaires… Julie Tourmetz, responsable du centre de soin de l’association, se félicite de «cette dynamique incroyable». Cela fait maintenant treize ans que l’île se mobilise pour sauver les quelque 10 000 pétrels de Barau mais aussi les pétrels noirs de Bourbon, dont il ne reste qu’une cinquantaine de couples. Pour limiter les atterrissages de fortune, les écolos ont lancé l’opération «Nuits sans lumière» et incitent les communes à éteindre en avril les éclairages publics. Quinze des vingt-quatre collectivités de l’île jouent le jeu.
Pièges à rats et à chats
Depuis le début du mois, les principales rues de Saint-Denis, le chef-lieu, sont ainsi plongées dans le «fénoir». Mais il persiste toujours des poches de pollution lumineuse. Mardi soir, Christian Léger, le président de la Seor, et sa collègue, le vérifient lors d’une patrouille au Barachois, le front de mer dionysien. Chaque année, ils sauvent dans ce quartier entre 70 et 90 oiseaux échoués. Ici, un chantier lumineux de travaux routiers ; là, des lampadaires éclairant un parking vide ; plus loin, une fontaine éblouissante de clarté. Même la préfecture a oublié d’appuyer sur le bouton et resplendit dans l’obscurité. Les deux bénévoles notent les spots et contacteront les services concernés. «C’est devenu une habitude en avril», sourit Agnès Mézino, déléguée au développement durable de la ville, qui fait malgré tout figure de bon élève. Certaines communes sont plus «frileuses», sensibles aux doléances des passants ou des commerçants, qui invoquent «un sentiment d’insécurité» ou une moins grande affluence de clients, selon Agnès Mézino. L’épidémie de Covid-19 et le couvre-feu à partir de 18 heures dans le département d’outre-mer ont mis tout le monde d’accord…
Jean-Philippe Delorme, le directeur du parc national de la Réunion, espère, lui, convaincre sur le long terme. «Il faut revaloriser, espère-t-il, l’obscurité, qui n’est pas antinomique de l’activité économique.» Et d’évoquer, romantique, «un dîner aux chandelles dans un restaurant, ou l’observation des étoiles». Le parc national mène en outre une action de conservation de l’espèce tout au long de l’année. Ses agents escaladent ainsi les contreforts des montagnes pour y poser des pièges à rats et… à chats, terribles prédateurs des pétrels dans leur nid. Mais il est un élément contre lequel ni la Seor, ni le Parc ne peuvent lutter : le piton de la Fournaise. Lorsque le volcan entre en éruption, comme c'est le cas depuis le 9 avril, on observe régulièrement des pétrels carbonisés, attirés par le feu de la terre.
Commenter cet article