Le protocole sanitaire «adapté» qui est appliqué depuis le 9 juin fait fuir les touristes, dénoncent les professionnels du secteur.
Libération du 10 juin 2020, de notre correspondant Laurent Decloitre
La Corse n’est pas une île, c’est bien connu. Sinon, comment comprendre la décision du gouvernement de lever l’obligation de motif impérieux pour s’y rendre et de supprimer le confinement une fois sur place, alors qu’il maintient ces mesures sur d’autres territoires insulaires ? Question posée par les Guadeloupéens, Martiniquais et Réunionnais (1), ulcérés à l’image de Patrick Serveaux, président de l’Union des métiers de l’industrie hôtelière à la Réunion : «C’est une injustice, on nous a mis hors jeu ! Quel touriste va aller en vacances pour passer sept jours en confinement ?» Sur les ondes de Guadeloupe 1ère, Patrick Vial-Collet, président de la Chambre de commerce et d’industrie de Guadeloupe, explique que «les Français sont en train de choisir leur destination de vacances. On leur dit, "circulez, il n’y a rien à voir". Conséquence : aucun Français ne partira chez nous !» Le président de la Fédération des entreprises de l’outre-mer, Jean-Pierre Philibert, estime même que cette différence de traitement renvoie au temps des colonies…
Dépistage avant les vols
Face à cette levée de boucliers, le gouvernement plaide la nécessaire prudence. Le risque, en cas de reprise de l’épidémie à cause de cas «importés», serait de voir les hôpitaux de Pointe-à-Pitre, Fort-de-France ou Saint-Denis débordés, sans possibilité, comme en Corse, de transférer les malades en surnombre en métropole. En mai, les parlementaires de la Réunion, inquiets à cette idée, avaient d’ailleurs écrit au ministre de la Santé, pour proposer une «demi-quatorzaine». Pas vraiment sur la même ligne que les acteurs économiques…
Depuis le 9 juin, un protocole sanitaire «adapté» est donc expérimenté. Les voyageurs se rendant en outre-mer doivent être dépistés soixante-douze heures avant leur vol. Ils peuvent le faire directement dans un laboratoire, sur simple présentation de leur billet d’avion, promet le ministère des Outre-Mer. «Faux, rétorque Natacha Cancre, qui a pris son vol pour la Réunion ce mercredi soir. Le labo a exigé une ordonnance, j’ai dû dénicher un médecin au dernier moment.» La Réunionnaise, partie une semaine en urgence pour visiter sa mère malade, a été diagnostiquée négative. Sinon, elle n’aurait pas pu prendre l’avion et la compagnie aérienne aurait dû lui proposer un autre vol, deux semaines plus tard.
«Quatorzaine stricte»
Demain matin, à son arrivée, Natacha devra rester sept jours en confinement, chez elle. «J’ai rempli un questionnaire sur le site de la préfecture de la Réunion, pour prouver que j’avais une chambre et une salle de bains séparées. Mon mari va faire la tête…» Sept jours, au lieu de deux semaines de confinement auparavant. «Pour moi, c’est gérable, admet la distributrice de produits sud-africains. Mais pour les touristes…» Après cette septaine, nouveau test. S’il s’avère encore négatif, Natacha et les autres voyageurs dans son cas pourront sortir de chez eux, mais en portant un masque durant une seconde semaine. Les personnes qui n’auront pas réalisé de test avant le départ de Paris devront en revanche suivre «une quatorzaine stricte, en site dédié ou à leur domicile», prévient Annick Girardin, la ministre des Outre-mer.
Le gouvernement dressera un bilan le 22 juin pour maintenir ou non la mesure. C’est peu dire que sa décision est attendue…
(1) Saint-Marin et Saint-Barthélemy sont également concernés.
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