Dans le département d’outre-mer, encore relativement épargné, les critiques sur la gestion de la crise se multiplient.
Libération du 1er avril 2020, de notre correspondant Laurent DECLOITRE
Plus d’œufs ni d’oignons dans les grandes surfaces de La Réunion, et des prix qui flambent sur les rares marchés forains encore ouverts. Pourtant, la ruée sur les étals, observée les premiers jours de confinement, a laissé place à un comportement plus serein : les consommateurs ne remplissent plus leur caddie comme en temps de cyclone. « En cette période de carême, le plus important, c’est la nourriture spirituelle et le maintien des liens de solidarité », philosophe Géraldine, en train d’acheter des boites de sardines. Pas sûr que la pieuse Saint-Andréenne ait été entendue… Sur les réseaux sociaux, les propos racistes se propagent, accusant les métropolitains habitant l’île d’avoir transporté le Covid-19 dans les soutes de l’avion, lors de leur retour de vacances. « On subit les conneries des gros zorey. Fallait rester chez vous, pourrir là-bas mais pas ici ! », balance Bill. Mickael dénonce même un « homicide involontaire de masse ». Pour Guillaume, aucun doute, « le préfet et la directrice de l'ARS ont mis La Réunion dans la merde, comme en métropole alors que ça aurait pu être évité ». De nombreux habitants reprochent en effet aux pouvoirs publics d’avoir autorisé jusqu’à peu les navires de croisière à accoster et de ne pas avoir fermé l’aéroport, point d’entrée du virus : la quasi totalité des 247 malades (dont 6 en réanimation) recensés mardi sont des cas importés.
Les parlementaires de l’île ont fait taire leurs divisions -certains sont adversaires aux municipales- pour exprimer eux-aussi leur colère. Dans un courrier adressé à la ministre des Outre-mer, ils dénoncent un « Etat hésitant ». Pour freiner l’importation des cas sur le territoire, les élus réclament « le confinement strict et obligatoire dans des lieux adaptés, assorti d’un test de dépistage des voyageurs et, à défaut, la fermeture de l’aéroport ». Selon Ericka Bareigts, député PS et ancienne ministre des Outre-mer, « La Réunion aurait pu être un exemple dans la lutte contre le virus si les mesures courageuses avaient été prises à temps ».
Jacques Billant, le préfet, répond que fermer l’aéroport « ne serait pas humain » et qu’il ne laissera pas « nos concitoyens à la porte de La Réunion ». Sans parler du fret dont une partie est indispensable au bon fonctionnement des hôpitaux. Hier matin, un vol d’Air Austral a donc atterri, en provenance de Paris, rapatriant 171 passagers*. Parmi eux, Daisyrée, étudiante de 20 ans en BTS à Nîmes, revenue malgré l’interdiction des voyages d’agrément. Selon sa mère, elle « pétait un plomb, seule dans son appartement »…
Après une consultation auprès d’un pompier infirmier puis d’un médecin dans le hall de l’aéroport, les nouveaux venus ne présentant pas de symptôme ont été embarqués dans des bus. Direction « un centre d’hébergement dédié », sans passer par leur domicile ni embrasser leurs proches, selon une procédure appliquée depuis le 30 mars. Mais pas de dépistage systématique, au grand dam des parlementaires qui estiment que des tests « massifs » devraient être « la pierre angulaire de notre guerre ».
Les passagers sont partis pour deux semaines de confinement strict, dans des hôtels avec piscine sur la côte balnéaire, tous frais payés par l’Etat. Pas suffisant aux yeux de Jacques Belot, un des passagers, qui dénonce « une détention »… Il faut dire que l’avocat a déjà subi une quatorzaine à Tahiti, où il s’était rendu pour plaider. « Je suis quelqu’un de responsable. J’aurais pu me confiner chez moi sans risque », assure-t-il. A Mayotte, le département d’outre-mer voisin, les voyageurs ont été assignés, eux, dans les locaux du régiment du service militaire adapté. Ils dénoncent les moustiques, les toilettes insalubres et ont menacé de rentrer chez eux. Il a fallu dépêcher des gendarmes pour calmer tout le monde, le chef de corps rappelant que ce n’était « ni l’hôtel, ni le bagne »… L’île au lagon, où le préfet a décrété un couvre-feu nocturne, comptait mardi 94 malades et déplorait un décès.
A La Réunion, pas de mort, « pour l’instant », redoute Jean-Hugues Ratenon, député de la France insoumise, qui, à son tour, accuse l’Etat de ne « pas avoir pris la mesure de la crise ». Il en veut pour preuve la gestion chaotique des masques. Face à la pénurie et à la pression des praticiens, l’agence régionale de santé a puisé la semaine dernière dans un vieux stock entreposé dans les locaux du CHU de Saint-Denis. Mais une bonne partie des protections livrées aux pharmacies était… moisie ! « La ministre des Outre-mer, Annick Girardin, nous a portant assuré que 425 000 masques ont été livrés sur notre île, s’emporte Jean-Hugues Ratenon. Ils sont où ?! »
Dany, une jeune retraitée arrivée hier dans l’avion d’Air Austral, dénonce elle-aussi « l’impréparation de la France ». Depuis sa chambre d’hôtel où elle est consignée, la Réunionnaise en veut pour preuve les mesures prises par l’Indonésie, d’où elle a été rapatriée. « A Djakarta, l’hôtel prenait notre température deux fois par jour ; les pouvoirs publics désinfectaient les rues et les murs ; dans les lieux publics ou dans les ascenseurs, des croix rouge matérialisaient les espaces à laisser vacants ; et tout le monde portait un masque… » En revanche, lors de son transit d’une journée à l’aéroport de Roissy, « pas de gel désinfectant, aucune question sur notre provenance ou notre état de santé, la possibilité de sortir et d’aller à Paris… Suicidaire ! »
De notre correspondant à La Réunion, Laurent Decloitre
* Il n’y a plus que trois vols par semaine, contre plus d’une vingtaine en temps normal.
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