De notre correspondant à La Réunion, Laurent DECLOITRE, envoyé spécial à Mayotte, Libération du 27 décembre 2019
Plus d’un an confinés entre les murs blancs de l’hôpital… Faute de famille vivant à La Réunion et de parents les accompagnant, les petits patients évacués de Mayotte devaient parfois rester 24h/24 dans leur chambre, alors qu’ils auraient pu sortir entre les soins. « En 2016, les évasanés étaient hospitalisés 166 jours en moyenne, contre 2,6 jours pour les patients réunionnais », a calculé Sabrina Wadel, directrice de la Stratégie, de la coopération et du service social du CHU. Des enfants qui développaient des maladies psychiatriques, comme l’hospitalisme. « C’est de la maltraitance institutionnalisée, juge le néphrologue Olivier Dunand. On leur sauvait la vie, mais à quel prix ! » Certains praticiens, par compassion, ont alors enfreint le règlement. « J’en ai pris chez moi les week-ends en me contentant d’une autorisation orale des parents », reconnaît bien volontiers Mathilde Jehanne, oncologue et hématologue pédiatrique au CHU.
En 2017, l’hôpital met alors sur pied un réseau, unique en France, de familles d’accueil thérapeutique, agréées par l’Aide sociale à l’enfance, qui reçoivent une formation spécifique. Une bouffée d’oxygène pour les enfants, une sacrée économie pour les deniers publics, comme le comptabilise Sabrina Wadel : « Depuis 2017, on a
évité 2000 journées d’hospitalisation, soit 3 millions d’euros d’économies »
Bernadette Zaneguy a ainsi hébergé le petit Ben Ali, que nous avons rencontré à Mayotte, où l’enfant, guéri, tente de se réadapter à son pays d’origine. Difficilement. « Je préférais vivre chez tatie, ronchonne le garçon devant son père, qui lui rase la tête avant un cours à l’école coranique. La Réunion, c’est mieux ». Pourtant, « il m’a rendu la vie infernale, sourit Bernadette Zaneguy. Il était insolent, il a fallu lui apprendre les règles de vie ». Quand il est parti, tout le monde a pleuré…
Kassim, dont le papa bloqué à Mayotte nous avait confié des bonbons et une petite voiture, doit lui rester à La Réunion jusqu’à 2020, voire 2021. Ce jour, le petit Comorien de 4 ans est à l’hôpital de Saint-Denis pour une ponction lombaire ; mais il préfère parler de son dernier déguisement de diable, pour Halloween. « Il est très courageux alors, forcément, on s’attache », confie Jimmy Técher, qui le garde depuis un an et demi et l’emmène tous les matins à l’école maternelle de Sainte-Suzanne.
L’accueil de ces mineurs est d’autant plus compliqué qu’ils sont gravement malades et issus d’une culture différente ; pas de porc au menu, les prières pour les plus grands... Quand Nayam est arrivé, seul à La Réunion, il ne comprenait pas le français et était « complètement renfermé ». Aujourd’hui, le garçon de 3 ans va à la crèche et s’amuse avec les deux filles de Christelle Dalleau, qui l’appelle « mon cœur ». Lui répond « maman »... L’enfant n’a jamais eu de contact avec sa mère, restée aux Comores, et a perdu trace de son père, lorsque celui-ci a été expulsé de Mayotte. La famille d’accueil est inquiète quant au devenir de Nayam, aujourd’hui guéri et qui devrait repartir la semaine prochaine : « Il va devoir passer de tout à rien ! »
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