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L'actu vue par Laurent DECLOITRE

L'actu vue par Laurent DECLOITRE

Les articles de Laurent Decloitre (journaliste et biographe) sur la Réunion et l'océan Indien parus dans Libération, Marianne, Paris Match, l'Express, Géo et la presse nationale.

Publié le par Laurent DECLOITRE
Publié dans : #Articles parus sur mon blog
Les éleveurs prennent des risques en conduisant le troupeau à travers la brousse. (photo LD)

Les éleveurs prennent des risques en conduisant le troupeau à travers la brousse. (photo LD)

Le phénomène prend une ampleur dramatique : les dahalos, ces voleurs de grand chemin, ne se contentent plus de voler des zébus dans la brousse. Ils attaquent les villages et tuent les témoins. Les Malgaches vivent dans la psychose.

octobre 2018

Durant treize jours, Joseph Rakotomamonjy a traversé la brousse, tongs orange aux pieds, se nourrissant seulement de riz et buvant l’eau des rivières. Le sexagénaire est parti de Maintirano, sur la côte ouest de Madagascar, avec cinq employés, aiguillonnant de son bâton une cinquantaine de zébus.  Ce matin, après 350 km de marche éprouvante, l’éleveur arrive enfin à Tsiroanomandidy. C’est dans cette commune de 50000 habitants, à  5h de route de la capitale, que se situe le plus grand marché national des boeufs à la bosse bringuebalante.

Joseph est soulagé d’être à bon port. Pour assurer sa sécurité, le père de famille était escorté par six militaires, lourdement armés, qu’il a payés 1 million d’ariary chacun (260 euros). Une petite fortune dans ce pays parmi les plus pauvres au monde, où le salaire mensuel minimum n’est que de 40 euros, où un tireur de pousse-pousse gagne 2,50€ par jour… Et une question de vie ou de mort : les zébus sont la proie des dahalos, des voleurs qui n’hésitent pas à tirer sans sommation sur les bergers pour leur dérober leur précieuse cargaison. C’est ce qui est arrivé à l’éleveur en février dernier : « À 10 h du matin, ils ont surgi de derrière les fourrés et nous ont rafalés. Un de mes bergers a reçu une balle et est mort, un gendarme aussi ». Joseph est parvenu à s’enfuir dans la forêt et n’a retrouvé les survivants que le lendemain matin. Les militaires, de leur côté, ont riposté et tué deux bandits. Mais 120 zébus ont été volés.

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Les bergers, faiblement armés, doivent payer des militaires pour les protéger. (photo LD)

Un peu à l’écart, sur l’esplanade herbeuse où se tient le marché de Tsiroanomandidy, Soja brandit une hache et une lanière de cuir, qui lui sert de fouet et de catapulte. L’éleveur a lui-aussi été victime des dahalos. « Ils ont tiré à 4h du matin, ont blessé deux d’entre nous et se sont enfuis », raconte le jeune homme aux lèvres brûlées par le soleil. Les militaires ont poursuivi les bandits, en ont tué deux et récupéré tous les zébus.

« On ne craint rien grâce à la sorcellerie »

Ce genre de confrontions est une véritable plaie à Madagascar. Selon la direction de la Sécurité et du renseignement de la gendarmerie nationale, 30 000 zébus ont été volés en 2017, et ces cinq dernières années, 1000 villageois et 3000 dahalos ont trouvé la mort, dans le Sud et à l’Ouest de la Grande Île. Une centaine de représentants des forces de l’ordre ont également péri. Une hécatombe qui pousserait les militaires à des dérapages : la presse locale relaye les témoignages « d’exécutions sommaires »… Cela étant, près de 10 000 de ces bandits des grands chemins ont été arrêtés l’an passé. « Ils représentent 90% de nos détenus », précise le lieutenant Fanja, commandant adjoint de la gendarmerie de Tsiroanomandidy. À plusieurs reprises, le soldat a poursuivi les dahalos ou leur a tendu des pièges. « Ce n’est pas de la blague, c’est très dangereux, comme la guerre en Irak. Ils peuvent nous atteindre à 100m de distance avec leurs fusils », prévient-il. Il y a peu, un gendarme, capturé, n’a eu la vie sauve qu’après avoir accepté l’humiliation de marcher à quatre pates devant les bandits, hilares…

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Joseph a été attaqué à la kalachnikov par des dahalos. (photo LD)

Plusieurs habitants ont décidé de constituer des milices pour surveiller leurs troupeaux. C’est le cas du village voisin de Bemahatazana, à 3h de piste poussiéreuse, où seize cas de peste avaient été déclarés en 2017. Là, Justin et Rose Ralaivelo Alohotsy ont rejoint la Société de sécurité traditionnelle et contemporaine, arborant fièrement un tee-shirt noir et un badge. « On en avait assez de vivre dans la crainte, du matin au soir », raconte le couple, qui vient vendre sa production agricole au « centre-ville », après 2h de vélo. Les miliciens fabriquent leurs propres armes blanches, des machettes, dérisoires face aux armes lourdes des dahalos. Peu importe. « On ne craint rien, grâce à la sorcellerie », plastronne Justin. À condition de « ne pas manger de poulet tué par une femme », il assure pouvoir enrayer les armes de ses adversaires. La preuve ? « J’ai essayé sur ma femme, elle n’a pas été blessée »…

La plupart des femmes se contentent en réalité de lancer des « youyou » pour inciter les habitants à se cacher. « Sinon, assure Agnès Leveneur, qui tient une auberge à Ankadinondry, à 60 km à l’est de Tsiroanomandidy, les dahalos crèvent les yeux et coupent la langue des témoins ». Selon la tenancière française, les familles de deux de ses employées ont connu un tel sort…

« Une mafia avec ses réseaux »

À chaque coin de rue, les témoignages affluent. La veille, Madeleine Koenot, une Belge de 65 ans qui tient à bout de bras l’association Enfants du Monde, a envoyé une de ses protégées à Tana, la capitale, pour lui faire passer un scanner. « Le père de famille avait vendu quatre zébus, il lui en restait deux. Les dahalos les lui ont volés, mais ont aussi mis le feu à la case », raconte l’humanitaire. Onze personnes ont péri dans l’incendie. Seuls en ont réchappé un enfant de 17 ans, « devenu fou », et la mère, gravement blessée à coups de machette. Marcelin*, qui achète et revend des zébus en interpelant, jovial, les éleveurs, y va de son histoire, tout aussi tragique : un frère tombé sous les balles des dahalos, un père « mort de chagrin », lui-même « pris en otage » une journée, alors qu’il gardait le troupeau familial…

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Au marché, tous les zébus ne sont pas vendus avec des papiers... (photo LD)

Comme beaucoup, il assure connaître l’identité des voleurs : « Ils vivent parmi nous. Comme ils sont très pauvres, ils croient faire fortune en s’enrôlant dans les bandes ». Un zébu se vend certes entre 200 et 400 €, s’il a ses papiers ; mais sur le marché noir, les dahalos le bradent à 10 € pièce ! Ceux qui s’enrichissent sont les intermédiaires marrons. « Les hautes sphères », comme l’évoque Tahiry Sambahafa, le jeune président de la coopérative Mada Ombi, qui regroupe 1100 éleveurs dans le pays. Selon lui, « il existe une véritable mafia, avec ses réseaux de blanchiment. Les zébus volés à Tamatave se retrouvent avec des papiers à Majunga ! » L’opération « Mandio » (rendre propre) lancé par la gendarmerie nationale vise justement à apurer les pratiques commerciales. « Nous avons constaté de graves lacunes dans l’octroi et la gestion des fiches individuelles bovines », reconnaît le général de division Njatoarisoa Andrianjanaka, qui évoque « les combines d’une bande organisée pour blanchir les bœufs volés ».

Hyppolite* est-il l’un de ces gros bonnets ? L’homme dément, jurant ses grands dieux qu’il est « un bon catholique ». L’homme, coiffé d’un béret en tweed, est si méfiant qu’il chuchote à l’oreille de son interlocuteur, l’œil constamment aux aguets. Le négociant reconnaît pourtant acheter des « zébus perdus »,  et à condition qu’ils ne soient pas encore marqués au fer. L’absence de signes sur la croupe empêche d’éventuels propriétaires spoliés de reconnaître leurs bêtes…

Laurent DECLOITRE

 

* Les prénoms ont  été changés.

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