Rentrée scolaire perturbée à Mayotte
Libération du 13 mars 2018, Laurent DECLOITRE
Alors que le mouvement de grogne se poursuit dans le département d’outre-mer, la ministre Annick Girardin a annoncé de nouvelles mesures lors d’une visite éclair hier.
Elle a finalement cédé à la pression des Mahorais. Annick Girardin, ministre des Outre-Mer, est arrivée hier matin à Mayotte, en proie aux grèves, manifestations et barrages depuis plus de trois semaines. Les habitants protestent contre l’insécurité dont ils rendent responsables les immigrés clandestins venus des Comores voisines. (Voir Libération du 8 mars 2018). Sur Petite-Terre, l’île où se situe l’aéroport, les manifestants ont dressé des barrages, qui ont dû être évacués à coups de bombes lacrymogènes. Mais la ministre n’a pu esquivé les « bwénis », ces femmes aux formes généreuses enveloppées dans d’amples salouvas colorés qui font la pluie et le beau temps dans cette société musulmane et matrilinéaire. « Quand je reçois un appel de l’école, j’ai toujours peur que quelque chose soit arrivé à mon enfant », lâche une mère de famille en ce jour de rentrée scolaire.
Depuis Paris, le gouvernement avait assuré que la reprise des cours aurait lieu normalement. Le vice-rectorat de Mayotte avait demandé aux enseignants et aux élèves de rejoindre l’établissement scolaire « le plus proche de leur domicile » s’ils ne pouvaient accéder à leur école, collège ou lycée. « Pour y faire quoi ? », tempête Henri Nouri, co-secrétaire départemental de la FSU Mayotte. Il n’y a, de fait, pas grand monde dans les salles de classe : les membres du Collectif de citoyens et de l’intersyndicale, à l’origine du mouvement, ont dressé des barrages, abattant même des arbres, aux quatre coins de l’île.
Un ras-le-bol partagé par la FSU, qui refuse cependant d’associer l’immigration clandestine (40% de la population est d’origine comorienne, dont la moitié en situation irrégulière) à l’insécurité. « Moi-même, j’ai été cambriolé par un Français », illustre Henri Nouri, qui préfère pointer l’explosion démographique : entre 2003 et 2014, le nombre d’élèves a augmenté de 48,9%. Conséquence : cinq collèges accueillent, bien au-delà de leurs capacités, plus de 1500 élèves ! Et 60 des 180 écoles pratiquent le système de « rotation » : une même salle pour deux classes, les jeunes ayant donc cours, soit le matin, soit l’après-midi. C’est le cas des enfants de Cassim Soulaimana, père de famille désabusé, qui les envoie à l’école coranique « la moitié du temps »… Au final, selon l’Insee, 5000 enfants ne seraient pas du tout scolarisés.
Mais le gouvernement s’est contenté à ce jour de mesures sécuritaires, dont la présence de gendarmes dans les bus scolaires. Hier, Annick Girardin a de nouveau annoncé l’envoi ou le maintien de gendarmes et de policiers supplémentaires, ainsi que l’augmentation du fonds interministériel de prévention de la délinquance pour développer la vidéo-protection... La ministre a également promis la création d’un État-Major opérationnel de lutte contre l’immigration clandestine, « à terre et en mer » et l’envoi « immédiat » par la Marine d’un navire patrouilleur militaire, dans l’attente des nouveaux navires intercepteurs à l’été prochain. Un officier de liaison pourrait enfin être nommé au sein du ministère de l’Intérieur comorien « afin d’améliorer la lutte contre l’immigration clandestine ». Peine perdue ! Un porte-parole du collectif des citoyens et de l’intersyndicale, contacté hier soir, parle de « show » et de « mascarade ». Le mouvement appelle à une nouvelle journée de mobilisation demain mercredi…
Laurent DECLOITRE
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