L'Express du 19 février 2015, de notre correspondant laurent DECLOITRE
Commando scientifique sous un volcan
Alain Bertile, un enseignant passionné de volcanologie, explore les nombreux tunnels de lave de La Réunion. À chacune de ses découvertes, il emmène des chercheurs qui mènent des expériences dans des conditions parfois périlleuses.
Le Piton de la Fournaise est l’un des volcans les plus actifs au monde ; le sous-sol de l’île est truffé de tunnels de lave où les intrépides ne souffrant pas de claustrophobie peuvent s’engager. Un terrain de jeu idéal pour Alain Bertile, professeur de Lettres au lycée de Bras-Panon. Ce volcanologue amateur a vécu sa première éruption, il y a un peu plus d’un demi-siècle, dans les bras de son père : il avait alors quatre ans… Depuis, il a été l’un des premiers à s’aventurer dans une galerie de la coulée de 2004 : aujourd’hui, le boyau rouge qui s’ouvre non loin de l’océan est visité par des centaines de touristes, encadrés par des professionnels.
Lorsqu’en avril 2007, le volcan déclenche ce que l’on appellera « l’éruption du siècle », Alain Bertile veut rééditer l’exploit : plonger dans les entrailles de cette coulée monstrueuse de 60 mètres d’épaisseur, qui atteint la mer en douze heures seulement et coupe en deux la route serpentant le long du littoral. L’éruption s’achève le 1er mai 2007, mais le féru de lave devra patienter trois ans, le temps que les températures diminuent. L’an dernier, elles pouvaient encore atteindre les 200 degrés. A chaque pluie, des vapeurs s’élèvent toujours des grattons ocres et bruns, exhalant des odeurs de soufre.
En 2010, enfin, Alain Bertile s’engage dans la bouche encombrée d’éboulis d’une galerie formée sous la coulée. « Ce que j’y ai découvert était tellement beau et intriguant que j’ai appelé immédiatement des volcanologues », raconte l’explorateur sous son casque blanc. Les spécialistes donnent un nom aux splendides concrétions en forme de fougère : des dendrites, qui se dissoudront sous l’effet des infiltrations d’eau quelques mois plus tard.
Depuis quatre ans, Alain Bertile guide régulièrement des équipes de scientifiques, trop heureux de pouvoir découvrir le dessous du décor. Ce matin de novembre 2014, nous sommes en compagnie de deux universitaires du laboratoire Géosciences de Saint-Denis et d’un hydrogéologue de l’Office de l’eau. Objectif : relever les mesures effectuées par des appareils déposés plusieurs semaines auparavant, en surface et sous la coulée.
La batterie a fondu...
Nous pénétrons prudemment dans l’antre volcanique, interdite au public (voir la vidéo). « Ici, nous sommes à l’origine de la terre, mais aussi sur la terre de mes origines », déclame l’enseignant, dont le grand-père habitait au Tremblet, à quelques dizaines de mètres de la coulée de lave.
Le tunnel n’est pas encore « stabilisé », ne le sera peut-être jamais, et les effondrements sont monnaie courante. Alain Bertile a déjà vu un bloc tomber juste devant lui. « C’est assez dangereux… ». Sous la lave, le tunnel parfaitement circulaire permet de marcher, courbé, la tête protégée par un casque. Le plafond a fondu sous la chaleur du magma en fusion ; des stalactites de lave étincellent à la lumière de nos lampes frontales. Elles se sont formées en quelques minutes à la différence des concrétions calcaires de métropole, qui mettent, elles, des siècles. Les parois paraissent, par endroits, comme cristallisées par un gel hivernal, le tunnel ressemblant alors à l’œsophage d’une baleine, strié d’os blancs.
Nous parvenons, à 40 mètres de profondeur, à la station scientifique qui mesure la fréquence et la nature des infiltrations d’eau. La batterie alimentant le pluviomètre a fondu ! De fortes précipitations ont conduit quelques jours auparavant à une augmentation surprenante et soudaine de la température, passée de 20 à 70 degrés. Éric Delcher, ingénieur à l’université de la Réunion, parvient malgré tout à déstocker les données sur son ordinateur étanche et antichoc. Julien Bonnier, l’hydrogéologue, a la confirmation de la présence d’eau à la fois sulfatée et carbonée. L’analyse de la lave révèle par ailleurs un combiné de sulfate de potassium et de sodium, « jamais décrit à l’état naturel », s’enthousiasme Anthony Finizola, maître de conférences à l’université de Saint-Denis. Ce serait peut-être « une première mondiale », rêvent les deux membres du labo Géosciences. Ils vont désormais éplucher les publications internationales pour le vérifier.
Pendant que les scientifiques s’activent, Alain Bertile sort une caméra d’une valise en métal et filme la scène en vue d’un documentaire pour la Maison du Volcan de La Réunion. Des images d’un gouffre volcanique, qu’il vient de découvrir au Sud de l’île, et au fond duquel il est descendu avec l’aide de cordistes professionnels, complèteront le documentaire. L’amateur éclairé est heureux : « L’aventure, c’est vivre des choses qui te permettent de répondre aux grandes questions de la vie ». Et tant pis si l’un de ses appareils photo a fondu lors d’une précédente exploration !
Laurent DECLOITRE
Sous la coulée de lave de 2007, au sud de la Réunion, en compagnie d'Alain Bertile, volcanologue amateur et de scientifiques de l'université, pour un dossier de l'Express consacré aux baroudeurs de l'île.
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