Sans coupe-coupe, difficile de se frayer un passage dans le coeur de la forêt primaire de la Réunion.
L’Express du 19 février 2015, de notre correspondant Laurent DECLOITRE
(photos et vidéos à la fin de l'article)
L'aventure à portée de pieds
Avec 35% de sa surface couverte par des forêts primaires, la Réunion est un terrain de jeu formidable pour les aventuriers de tous poils. Nous avons suivi des baroudeurs « péï » dans leurs pérégrinations les plus extrêmes. Vous pouvez les imitez… en prenant quelques précautions.
Jean-Paul Goursaud, 63 ans, a le crane dégarni et les genoux en vrac. Ce retraité de l’armée de terre a beau avoir perdu un ménisque au cours d’une de ses explorations, il n’en continue pas moins de sillonner les coins reculés de La Réunion. Toujours armé de son coupe-coupe et de son carnet de notes (voir ci-dessous), il quitte de nuit son village de Petite-Ile, dans le sud de l’île, pour débuter la marche au lever du jour. Ce matin, après deux heures de route nous arrivons à Grand Ilet, dans le cirque de Salazie. Objectif : passer de l’Est à l’Ouest du département. Nous devons monter jusqu’à la fenêtre du Cimendef, cinq à six cents mètres plus haut, puis redescendre et nous frayer un passage dans le cirque de Mafate, sur les rochers glissants de la ravine Sainte-Suzanne. Un itinéraire déserté depuis des années, où la végétation a repris ses droits. (Voir la vidéo)
Heureusement, nous avons pour compagnon un Réunionnais au teint hâlé et au sourire contagieux : Philippe Seychelles, 54 ans, « 60 kilos tout cassé ». Cet installeur de poêles à bois, bientôt diplômé d’un brevet d’accompagnateur de moyenne montagne, a repéré les lieux quelques semaines auparavant. Son mollet agile, tatoué d’un motif haïtien, saute de blocs en racines. Perdus au fond d’une gorge – véritable piège lors des pluies tropicales –, nous alternons sans cesse entre le lit du torrent et les flancs de la forêt, suivant une sente abandonnée, parfois à peine repérable. Les cascades et les bassins innombrables invitent à la baignade, les sommets qui nous dominent à la contemplation. Magique. Jean-Paul Goursaud et Philippe Seychelles prennent le temps de repérer parmi les arbres un bois de négresse, utilisé autrefois par les colons pour faire avorter les femmes noires s’ils avaient abusé d’elles et les avaient mis enceintes. « C’est cela, l’aventure. Découvrir ou redécouvrir des lieux où l’homme n’a parfois plus mis les pieds depuis l’esclavage, il y a 150 ans », souffle Philippe Seychelles, en sueur.
« Excité comme un gamin »
C’est justement la quête incessante, quasi obsessionnelle, d’un autre explorateur : Pascal Penot, 49 ans, cadre dans le secteur des télécommunications, retrouve les traces des esclaves « marron » qui fuyaient dans les hauteurs de l’île, pourchassés par les chasseurs blancs. Coiffé d’un bob en raphia, « Chapo la paille », son surnom, passe tous les mercredis aux archives départementales de Saint-Denis. « Je consulte des ouvrages du 18ème siècle, des procès-verbaux, des actes administratifs, des vieilles cartes… », détaille celui qui se remet tout juste d’un triple pontage du cœur. Une opération lourde qui n’empêche pas l’aventurier de nous entrainer dans une sortie de 11 heures au fin fond de Mafate ! (Voir la vidéo) 1700 m de descente, autant de remontée épuisante, et une bonne partie de l’après-midi passée à tenter de trouver un passage menant à « Mafate-les-eaux » : un petit village dont les thermes étaient réputés pour leur source sulfureuse, à la fin du XIXe siècle. Après avoir remonté à cheval, la rivière sur 15 km, les curistes louaient une chaise à porteurs pour arriver jusqu’à Mafate-les-Eaux via le chemin départemental 2. Ce passage escarpé, une piste étroite creusée à l’époque à flanc de falaise, a aujourd’hui disparu. C’est pourquoi nous passons par le Maïdo, côté Ouest, sans doute le plus beau point de vue qui surplombe le cirque de Mafate. Arrivés au pied du Bronchard, nous quittons le chemin de grande randonnée pour suivre tant bien que mal le cours d’eau qui mène à l’ancienne station thermale. Jean-René Hoarau, qui tient un gîte en amont, nous a prévenus, évoquant les nombreux éboulis : « Attention, ça tombe toutes les cinq minutes ».
Pas de quoi effrayer notre « historien de terrain » : Pascal Penot se faufile entre des blocs monstrueux, aussi gros qu’une maison, obstruant une Rivière-des-Galets qui n’a jamais si bien porté son nom. Après une séquence de varappe, nous atteignons enfin les lambeaux du CD2. Pas de chance, un trou béant nous empêche au dernier moment d’accéder au plateau où se trouvait Mafate-les-eaux. Le village avait dépéri après 1913, lors de l’ensablement de la source consécutif à un effondrement de terrain. Rien ne montre que vivaient là près d’une centaine de personnes : le sol est très pentu, des rochers émergent de la végétation, les falaises menacent de s’écrouler… « Chapo la paille » n’est pas découragé : « Cela m’excite comme un gamin devant son premier jouet. Là haut, il y a certainement les ruines de l’hôtel, de l’auberge et même de l’église ! ». Le baroudeur reviendra si son autre « chantier » lui en laisse le temps : il est à la recherche d’un ancien cimetière, depuis qu’un Mafatais a trouvé un crâne lors d’une partie de pêche…
Baroudeurs septuagénaires
Ce type de parcours d’aventure ne relève pas de l’exploit sportif ; nul besoin de pratiquer le canyoning, l’escalade, la spéléologie ou autre sport extrême. Il suffit d’avoir la forme, d’aimer crapahuter hors des sentiers battus et de marcher les yeux grands ouverts pour en prendre plein la vue. À 76 ans, Raymond Lucas en est la plus touchante des illustrations.
Chemise à carreaux, canne en bois en guise de bâton de marche, le président de l’association des amis des plantes et de la nature (APN) arpente les forêts de l’île pour dénicher fleurs et arbres endémiques. À l’ombre de ces survivants, souvent en voie d’extinction, le sudiste « goûte au bonheur ». « Tous mes soucis restent en bas, c’est ma thérapie », lance le moustachu aux allures de José Bové. Lui et ses amis ont retrouvé un des quatre derniers pieds de bois de senteur blanc, dans une ravine de l’ouest de l’île. Ils ont marcotté l’arbre - ce qui est interdit -, replanté chez eux le rejeton, obtenu des graines et donné les semences au Parc national qui a ainsi pu sauver l’espèce. L’APN a également réussi à faire se reproduire un Pisonia mâle, repéré sur les berges d’un autre torrent, et un Pisonia femelle, éloigné de plusieurs kilomètres ; l’espèce est devenue si rare qu’elle en a perdu son nom vernaculaire.
« L’extase »
Ce matin-là, nous furetons sur les pentes sylvestres du volcan, sans en dire davantage sur le lieu exact pour préserver l’objet de notre recherche : des Hétérochaenia. (Voir vidéo) Ces campanules ont été décrites dans les comptes rendus des naturalistes et des botanistes du 18 et 19ème siècle. C’est un autre septuagénaire qui ouvre la marche. Jean-René Grondin, 74 ans, secoue les herbes avec son bâton pour en faire tomber la rosée et éviter de mouiller son pantalon. Mais qu’on ne s’y trompe pas : les deux « gramouns » ne reculent devant aucun obstacle. Ils se baissent sans grimacer sous les branchages des ambavilles, posent un pied prudent sur les rochers moussus des ravines, s’agrippent comme ils peuvent aux racines pour monter les talus… Et trottinent hors sentier, traversant des paysages préservés, s’enthousiasmant devant une minuscule orchidée invisible aux yeux du néophyte. Après deux heures de pérégrinations, nous tombons sur plusieurs plants d’Hétérochaenia Ensifolia, aux jolies clochettes mauves, puis, le clou de la sortie, sur une Hétérochaenia Rivalsii… en fleur ! « C’est exceptionnel, il faut près de quinze ans pour qu’elle fleurisse avant de mourir », apprécie Jean-René Grondin qui veille à ne pas glisser dans un bassin d’eau sombre quelques mètres en contrebas. L’ancien manipulateur radio irradie de plaisir : « On en avait entendu parler, sans la voir ; c’est l’extase, comme si on trouvait quelque chose de précieux »…
Laurent DECLOITRE
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Un site pour faciliter l’aventure
Une fois le sentier reconnu, Jean-Paul Goursaud vous propose de le suivre sur son site randopitons.re, visité depuis 2008 par 450 000 internautes chaque année. « Je ne cache pas mes coins à champignons, moi, sourit le sexagénaire à la progression mesurée mais terriblement efficace. Je partage mes découvertes pour faire revivre l’île, dont de nombreux sentiers sont fermés, oubliés ou envahis par la végétation ». Dans le compte-rendu de la marche que nous avons entreprise ensemble, Jean-Paul Goursaud classera la « balade » comme « très difficile », nécessitant une dizaine d’heures de progression, « un effort intense » et une recherche « stressante » de l’ancien sentier.
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Les précautions à prendre
- Indiquez à un proche l’itinéraire que vous allez emprunter et donnez lui l’heure d’arrivée approximative. Au cas où vous vous perdiez, les secours sauront où orienter leurs recherches. Vous partez évidemment avec une carte IGN et vous aurez jeté un œil auparavant sur Google Earth pour repérer le relief du parcours… Le téléchargement est gratuit, même si plusieurs zones de La Réunion ne sont guère visibles, trop sombres ou trop pixellisées.
- Même si le réseau des opérateurs ne passe pas partout, enregistrez les numéros de secours suivants sur votre téléphone portable :
Peloton de gendarmerie de haute montagne : 02 62 93 09 30
Secours : 112
- Attention, si vous tentez de vous fier aux relevés GPS de votre smartphone, le satellite est parfois très imprécis dans les coins reculés de l’île.
- Prenez connaissance de la météo la veille de la sortie et le matin même, soit sur le site officiel de Météo France, soit sur Météo Réunion, un site privé aux multiples liens. En cas de risque de pluie, ne pas hésiter à reporter. N’oubliez pas que le climat change très vite sur l’île. Même s’il fait beau temps au moment du départ, méfiez-vous des nuages sur les hauteurs du département. S’il pleut en altitude, les ravines se remplissent très vite et une vague peut arriver alors que le lit est encore sec ! En saison humide, de novembre à avril, partez du principe qu’il pleut tous les soirs ou presque sur les reliefs de La Réunion…
- Outre le vêtement de pluie, prenez un chandail ou une polaire (le vent, notamment sur les massifs du volcan et du Piton des Neiges, peut être glacial), une lampe frontale, une couverture de survie, une trousse de secours. Un sifflet peut être utile pour se faire entendre en cas de blessure et d’immobilisation.
- Emportez des pilules de traitement de l’eau. Même s’il est possible de s’abreuver dans les sources, le risque notamment de leptospirose, transmise par les rats, n’est pas exclu. Mettez un cachet type Micropur par litre d’eau et attendez une heure avant de boire.
- Les répulsifs anti-moustiques ne sont pas obligatoires, anophèles et autres aedes étant très rares au-dessus de 1000m d’altitude. En revanche, un antiseptique, sous forme de gel utilisable sans eau, peut servir.
- Et, bien sûr, ne pas partir seul…
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Partir avec quel guide ?
On peut se lancer dans l’aventure entre amis. À ses risques et périls… Mieux vaut s’adresser à des professionnels qui disposent des compétences nécessaires.
- Les accompagnateurs en moyenne montagne, diplômés d’un brevet d’État, sont assez nombreux à La Réunion. Ils peuvent vous guider à travers les massifs, à condition de ne pas devoir utiliser de techniques d’alpinisme : en clair, ni baudrier, ni mousqueton ne sont autorisés, sauf si l’accompagnateur est titulaire d’une qualification canyoning. Par ailleurs, ceux qui ont suivi la formation organisée par la Région Réunion peuvent vous conduire dans les tunnels de lave de l’île. Tous devraient prochainement passer le brevet d’État de spéléologie.
- Les guides de haute montagne, eux, peuvent emmener les aventuriers de tout poil au plus haut de La Réunion. Ils constituent le nec le plus ultra de la pratique extrême : leur formation délivrée par l’école nationale de ski et d’alpinisme s’étale sur quatre à cinq ans. Ils ne sont que trois à exercer de façon continue dans le département : Philippe Villemin (Ilet’aventure), Thierry Gillet (Évasion kréol) Julien Michel (Pranaventure). La société Ricaric propose également, durant l’été austral, les services d’un guide.
- Toutes les sociétés de canyoning et d’escalade dont les encadrants sont titulaires d’un diplôme d’État peuvent également vous guider hors des sentiers battus. Mais officiellement, pas au-delà de 2000 m d’altitude. Leurs coordonnées sur le site d’Ile de La Réunion Tourisme.
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Treks « péï »
Réunionnais et touristes sont peu nombreux à demander des sorties hors norme auprès des professionnels. Les plus courantes - et encore - sont les courses d’arêtes, sur le Cimendef, le Piton Cabris, la crête Marianne ou encore les Trois Salazes, à la journée. Les randonneurs sont encordés mais n’ont pas besoin de maîtriser toutes les techniques de l’alpinisme.
Sur deux jours, avec la nuit en bivouac, « on respire davantage le parfum de l’aventure », comme s’en régale un guide. La traversée entre le Piton des neiges et le massif du Gros Morne, sur le toit de La Réunion, à plus de 3000 m d’altitude, revient à environ 250 euros par personne. En canyoning cette fois, les deux jours nécessaires pour descendre le mythique et très physique Trou de fer coûtent plus de 300 euros.
Pascal Penot fouille dans les archives départementales de la Réunion avant de suivre les traces des anciens esclaves.
Il n'y a pas d'âge pour barouder, comme l'illustrent Raymond Lucas, 76 ans, et ses amis réunionnais.
A la recherche de Mafate-les-eaux, au coeur du parc national de la Réunion, avec Pascal Penot, dans le cadre d'un reportage pour l'Express sur les baroudeurs de l'île.
Passage de Salazie à Mafate via la ravine sainte-suzanne, superbe, en compagnie du créateur du site de rando pitons, Jean-Paul Goursaud et l'intrépide Philippe Seychelles.
A la recherche de l'Hétérochaenia Rivalsii, sur les pentes du volcan de la Réunion, le piton de la Fournaise, en compagnie de Raymond Lucas, président de l'association des amis des plantes. (dossier de l'Express sur les baroudeurs de l'île)
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