Nuages sur le solaire des cellules à la Réunion
Énergie . Un projet d’installation photovoltaïque dans la prison du Port est menacé par la politique d’EDF.
Libé Terre 22/02/2011
Correspondance à la Réunion Laurent Decloitre
Une trentaine de ces détenus du Port devaient participer à l'installation des panneaux photovoltaïques. (photo L.D., non libre de droit)
Couvrir de cellules photovoltaïques une prison… Pour mettre les détenus à l’ombre ? L’idée, un peu folle et provocatrice, est à l’image de son auteur, Jean Ballandras. Le secrétaire général pour les affaires régionales de la préfecture de la Réunion porte à bout de bras un vaste projet d’autonomie énergétique de l’île à l’horizon 2030. Pour y parvenir, le haut fonctionnaire compte sur l’électricité produite à partir du soleil. A priori, cela semble plutôt facile : à la Réunion, l’astre brille plus de mille quatre cents heures par an, le record français ; l’île abrite d’ailleurs la plus grande ferme photovoltaïque du pays. Le problème, c’est que la place manque pour installer les panneaux solaires au sol. Du coup, comme la pression foncière est très forte en raison des montagnes, du volcan et de la canne à sucre, «il a fallu dénicher des surfaces ni constructibles ni agricoles», indique Ballandras.
Le motard en costume-cravate a alors imaginé d’ajouter de la tôle sur la tête des taulards… Akuo, une PME française qui produit de l’électricité éolienne et solaire dans une dizaine de pays, a remporté l’appel d’offres. L’objectif est ambitieux : 10 mégawatts grâce à 31 000 panneaux installés sur les 35 hectares du centre pénitentiaire de la ville du Port. «Nous avons fait la différence parce que notre projet "Bardzour" concilie énergie, agriculture et réinsertion sociale», se félicite Eric Scotto, le PDG, un self-made-man de 43 ans. Une trentaine de détenus participeront à la pose, puis à la maintenance des panneaux photovoltaïques, sous lesquels ils feront pousser des légumes bio.
Le projet, unique en France, intéresse la maison d’arrêt de Fresnes. Mais Bardzour ne sortira peut-être jamais de l’ombre. Le projet n’est viable qu’à la condition de revendre à un «tarif correct» le kilowatt à EDF ; or, ce prix (aujourd’hui de 32,5 centimes) devrait une nouvelle fois diminuer dans les semaines qui viennent. Le gouvernement doit en effet fixer d’ici au 8 mars de nouvelles règles du jeu pour le photovoltaïque, la baisse des tarifs étant quasi certaine.
Bercy estime que l’obligation d’achat à un tarif bonifié entraîne un coût trop important pour la collectivité. Par ailleurs, le gouvernement a supprimé la possibilité pour les solaristes de défiscaliser une partie de leurs investissements en outre-mer ; or Akuo comptait déduire des impôts 10 des 45 millions d’euros du projet Bardzour…
Enfin, l’énergie solaire étant «intermittente» (pas de rayons la nuit ou par mauvais temps), EDF estime que le photovoltaïque ne doit pas dépasser 30% de la production électrique sur une île non connectée au nucléaire, comme la Réunion. «Sinon, on risque des délestages, voire le black-out», prévient Patrick Bressot, le directeur régional. Bref, la coupure de courant. Or selon EDF, ce seuil de 30% sera atteint «à la mi-2011». Conséquence : l’électricien menace de déconnecter les fermes solaires, de ne plus acheter leur production durant certaines périodes. Ce qui reviendrait à les couler financièrement.
Eric Scotto promet de se «battre» pour sauver «the house of the rising sun» ; mais les portes du pénitencier risquent fort de se fermer sur ce projet emblématique, entraînant l’ensemble de la filière solaire de l’île dans le fénoir, ce terme créole qui désigne la nuit.
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Akuo, l'entreprise qui souhaite couvrir la prison de panneaux photovoltaïques, a lancé le concept astucieux d'égrinergie, ou comment concilier électricité solaire et agriculture, à la Réunion notamment. Pour en savoir plus, lire l'article paru dans les Echos.
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