Artcile paru dans Presse&Com N°5 : décembre, janvier, février 2014
Il a bossé avec Séguéla puis collaboré avec les agences de la Réunion. Aujourd’hui, Jean-Paul Tapie écrit des romans, anime un blog sulfureux et porte un regard décapant sur le monde de la pub.
Comment dresser sereinement le portrait d’un homme dont nous serions le dernier interlocuteur ? Qui annonce « un non-retour », évoque le suicide, se déclare « non pas dépressif mais désespéré ». Comment décrire un homme qui ne souhaite pas vivre « en-deçà d’un certain niveau de revenus », qui se déclare « dans une merde noire », sans pour autant se plaindre, en gardant le sourire ? Le croire et prévenir ses amis ? Oui, évidemment. Mais aussi l’entendre sans oublier que cet homme est un pubard, qui, finalement, a toujours fait la com d’une love-marque bien particulière : la sienne, Jean-Paul Tapie. Une enseigne qu’il promeut depuis 64 ans, avec provocation, une liberté de ton bluffante et un cynisme qui paraît sincère.
Pourquoi parler aujourd’hui et ici, de ce retraité désabusé et nostalgique ? Parce que Jean-Paul Tapie, « Tapie, comme l’escroc », est un publicitaire, un concepteur-rédacteur de la grande époque, qui a bossé avec Séguéla avant de s’échouer à la Réunion en 2000. Parce que cet amoureux des mots publie un énième roman, « Le Ravisseur » (éditions Orphie), une fiction qui se déroule « dans la bonne société réunionnaise ».
Tapie, lui, a surtout côtoyé la jet-set parisienne dont il garde un souvenir fabuleux, presque gênant en ces temps de crise. « La pub, c’était un monde inouï jusque dans les années 90, lance-t-il. Je gagnais 50 000 francs par mois (8000 euros). Je posais les pieds sur la table, pondais une idée et allais faire la fête ! » Sa conclusion ? « Il valait mieux être publicitaire que travailler… » Tour du monde en Concorde, le Martinez à Cannes, les primes, les cocktails, la drogue, un peu, pas trop, le sexe, beaucoup…On croirait lire « 99 francs » de Frédéric Beigbeder… Mais au-delà du bling-bling, Jean-Paul Tapie raconte de belles aventures publicitaires.
Café et éjaculation
C’est lui qui a imaginé la signature « Un café nommé désir », pour la marque Carte Noire. « La première fois qu’un café ne faisait pas référence aux origines, comme le café Jacques Vabre ou au savoir-faire comme le café Grand’mère », rappelle-t-il. Le spot de l’époque montrait une femme caressant un paquet qui explosait et dont les grains de café jaillissaient. Une référence à l’éjaculation que ne renie pas le publicitaire : « Le plaisir, c’est ce qui m’intéresse ». L’ex militant socialiste travaillait alors pour l’agence Écom, une filiale d’Havas, qu’il quitta pour cause de mésentente avec son directeur artistique. « Un beau mec, surnommé Robert Redford, mais trop lisse et poli. Je n’arrivais plus à créer car je n’avais pas envie de l’épater ».
Après un intermède dans une petite agence, il intègre HDM, du groupe RSCG, comme directeur de la création. « Séguéla, un gaffeur un peu con, parlait souvent avant de réfléchir. Mais c’était un patron excitant qui n’interdisait rien. Si une grosse bite avait fait bander le consommateur, pourquoi pas ? »
« Fidèle ni aux gens, ni aux choses », Jean-Paul Tapie part chez Young&Rubicam. Là, le copy-chief gère de gros budgets, comme celui de Colgate, avec des moyens dont rêverait tout publicitaire aujourd’hui. Il tourne un spot du Loto de six millions de francs (900 000 euros), en Yougoslavie, où il privatise un aéroport entier. S’envole pour Londres pour filmer un bébé, qui naît durant le vol. « L’idée, c’était de le voir pleurant et mouillé puis calmé et propre après avoir été séché dans une serviette », explique le pubard. La campagne pour Soupline était signée : « Et le monde est plus doux »…
Le fric coule à flot, la vie est belle, le quadragénaire prend une année sabbatique. Touche-à-tout, il participe à un jeu de TF1, Jéopardy. Et remporte le gros lot, en trouvant la solution à l’énigme suivante : « Je suis la nymphe aimée de Zeus ». Normal, pour un homme qui aime à se regarder dans un miroir ou un psyché… En deux mois, il claque le gain qui s’élevait tout de même à 200 000 francs ! (30 000 euros)
En l’an 2000, il commet « la plus belle connerie de sa vie » et s’installe à La Réunion, où son cousin dirige une boite de pub. Entre deux courses de montagne, le rédacteur travaille en free-lance pour Facto-Saatchi&Saatchi, Conviction(s), Court-Circuit, et les marques Audi, Leroy-Merlin, Sogecore… Mais peut-être parce qu’il devient « casse-couille avec l’âge », les agences font moins appel à lui.
De son côté, il regrette l’évolution que suivrait le métier : « Aujourd’hui, le concepteur-rédacteur et le directeur artistique ne travaillent plus en dialectique. Le DA a pris le pouvoir grâce à son ordinateur. Maintenant, tu tapes « bébé » sur Google et tu n’as plus qu’à choisir un visuel parmi 30 000 ». Un brin revanchard, il estime que « le niveau de création a baissé », que « les spots radio sont cucul ». Pas que ses confrères soient mauvais, juge-t-il, mais les annonceurs mettraient « moins d’argent dans la créa et la conception ».
Alors, pour que sa plume ne rouille pas, il écrit de la fiction…et remporte en 2001 le prix de la nouvelle de l’océan Indien avec « Putain de Roche écrite ! » Auteur d’une trentaine de romans, Jean-Paul Tapie se livre sans fard, dans ses textes comme sur son blog. Un blog dérangeant, non pas parce qu’il revendique son homosexualité, ni même parce qu’il se vante d’avoir couché avec 2500 partenaires (!), mais parce qu’il y publie quelques photos à caractère pornographique. Sans surprise, l’homme assume en renvoyant les internautes à leur propre responsabilité ou à celle de leurs parents. Comme il le dit, « la vie n’est bonne qu’à faire des conneries »…
Laurent DECLOITRE
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